jeudi, mars 05, 2009

ALBERT EINSTEIN (1879-1955), PHYSICIEN ET REBELLE (1/8)

[Portrait d'Einstein en penseur critique paru dans Québec Sceptique] Contactez-moi si vous souhaitez le reproduire. il paraît ici sans les notes de bas de page.
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L’homme qui a révolutionné la physique fut aussi un militant socialiste, pacifiste et anti-raciste profondément engagé dans les combats de son temps.

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Esquissez des cheveux en broussaille, une moustache tombante, des yeux doux et il y a de fortes chances que l’on reconnaîtra Albert Einstein dans votre croquis, même malhabile.

Ou encore, écrivez simplement: E = ?. Il y a fort à parier que vos interlocuteurs compléteront: Mc2.— même s’ils n’ont aucune idée précise de ce que cela peut signifier.

Telles sont les renommées d’Einstein et de cette formule qu’on lui doit : tous deux sont devenus des icônes de la science et de l’intelligence humaine.

En 2000, l’organisation CSICOP (Committee for the Scientific Investigation of Claims of the Paranormal) publiait sa liste des 10 plus éminents sceptiques du XX ème siècle. Einstein y figurait. Ce choix était légitime : tout le monde convient en effet non seulement que la physique n’a plus été la même après Einstein, mais aussi de ce qu’il a fallu d’audace intellectuelle et d’esprit critique devant les idées reçues pour concevoir et soutenir les idées qu’il a avancées. Dans le présent texte, je parlerai donc, comme il se doit, des audacieuses avancées conceptuelles d’Einstein, qui ont révolutionné la physique.

Mais il y a un deuxième Einstein, étrangement méconnu. Socialiste et pacifiste, celui-ci s’intéresse à de graves problèmes et enjeux sociaux, politiques et économiques. Mais voilà : il est généralement passé sous silence lorsqu’on fait l’éloge de la profondeur de la pensée d’Einstein, de sa rigueur et de son courage intellectuels — compliments qu’on réserve au seul physicien. Pourtant, les mêmes vertus caractérisent la pensée et les engagements du militant et complètent le tableau du penseur critique et sceptique que fut Albert Einstein, en nous donnant à voir, par-delà la légende du savant distrait et inattentif à ce qui se passe autour de lui, un être humain complexe, passionnément impliqué dans les débats de son temps et avide de justice sociale.
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Dans les pages qui suivent, je voudrais montrer ces deux aspects, à mon sens indissociables et complémentaires, de la riche personnalité d’Einstein.

Voici comment je vais procéder.

Je commencerai par rapidement rappeler quelques indications biographiques qui nous conduiront à la fameuse année 1905.

Je consacrerai alors un assez substantiel développement à un des joyaux de la production d’Einstein cette année-là, la théorie de la Relativité restreinte. Je me suis efforcé de rendre claires et compréhensibles les idées essentielles de cette théorie sans utiliser d’outillage mathématique.

Les deux sections suivantes concernent elles aussi les idées scientifiques d’Einstein : mais j’en traiterai cette fois de manière beaucoup plus sommaire. La première section évoque la théorie de la Relativité générale; la deuxième rappelle sa défense du réalisme durant sa longue querelle avec les tenants de l’interprétation de Copenhague de la MQ en général et avec Niels Bohr en particulier.

La dernière partie de ce texte est consacrée au militant et au penseur politique.

De Ulm à Zurich

Albert Einstein est né à Ulm, en Allemagne, le 14 mars 1879, au sein d’une famille juive non pratiquante appartenant à la moyenne bourgeoisie d’affaires. Il est amusant de noter que la devise de cette ville est : «Les gens d’Ulm sont des mathématiciens». Dès l’année suivante, la famille part à Munich, où le père va tenter sa chance en lançant une nouvelle entreprise.

Le petit Albert ne parlera que très tardivement et s’en expliquera, adulte, en disant qu’il désirait former des phrases parfaites dans sa tête avant de les prononcer. Il a environ cinq ans quand son père lui montre une boussole : l’objet mystérieux produit sur lui un très profond effet.

En 1885, il commence à apprendre le violon — un instrument dont il jouera toute sa vie, allant même parfois jusqu’à se produire en spectacle pour venir en aide à certaines causes qui lui étaient chères — et entre à l’école. Mais il découvre un système scolaire autoritariste où règne une discipline de fer et qui met un accent excessif sur la mémoire: bien que bon élève, Einstein détestera profondément ces années scolaires.

D’autant que, tous les témoignages le confirment, il sera très jeune animé de ce virulent anti-militarisme qui ne le quittera plus. En anticipant sur la dernière partie de cet article, citons déjà ce passage, immensément célèbre, qu’il écrira des années plus tard :


[…] la pire des institutions grégaire est l’armée, que je haïs. Qu’un homme puisse éprouver du plaisir à défiler en rang au son d'une musique suffit pour que je le méprise. Ce ne peut être que par erreur qu’il a reçu un cerveau : une moelle épinière lui aurait amplement suffi. Nous devrions abolir le plus vite possible cette plaie de la civilisation. Héroïsme sur commande, violence démente, répugnantes bêtises qui circulent sous le nom de patriotisme : avec quelle passion je vous exècre! La guerre est une institution ignoble et abjecte et je préfèrerais me faire découper en morceaux plutôt que de prendre part à cette abomination .


Si l’école lui déplaît, le jeune Einstein a cependant la chance de trouver, à la maison, la nourriture intellectuelle dont il est affamé. Alors qu’il a dix ans, un jeune et pauvre étudiant en médecine appelé Max Tamley et auquel les Einstein viennent en aide, lui offre des ouvrages de vulgarisation scientifique : ceux-ci l’enchantent littéralement. Puis, son oncle Jacob, qui a commencé à lui enseigner l’algèbre, lui fait cadeau d’un ouvrage de géométrie. Le jeune Albert s’y plonge avec passion et, dès l’âge de 12 ans, il étudie seul le calcul différentiel et intégral. À 13 ans, avec l’aide de Tamley, il lit Emmanuel Kant et découvre les conceptions du philosophe sur l’espace et le temps, données pour les formes a priori de notre sensibilité.

De la même époque datent l’éloignement de la religion, la découverte de la libre-pensée, ainsi que le développement d’une méfiance critique à l’endroit du politique. Ces trois traits de caractère resteront permanents chez lui. Dans des notes autobiographiques publiées quand il a 67 ans, il racontera:

Par la lecture d’ouvrages de vulgarisation scientifique, j'eus bientôt eu la conviction que bien des choses dans les histoires de la Bible ne pouvaient pas être vraies. Cela m’a donné un véritable et frénétique appétit pour la libre-pensée accompagné de l'impression que l'État trompe sciemment la jeunesse par des mensonges. Cette impression était écrasante. Cette expérience m'a amené à me méfier de toutes les formes d'autorité et à considérer avec scepticisme les convictions qu’on entretient dans quelque milieu social que ce soit: cette attitude ne m'a jamais quitté […] .

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