mercredi, octobre 29, 2008

UNE VISITE À PATRICK MASBOURIAN

Je serai ce soir à l'émission de Patrick Masbourian, Vous êtes ici, sur les ondes de Radio-Canada.

La conversation va porter sur Voltairine de Cleyre, bien sûr, mais aussi sur Houdini et son combat contre le mouvement spiritualiste.

Le livre de Voltai semble susciter de l'intérêt et je m'en réjouis.

lundi, octobre 27, 2008

LANCEMENT D'UN LIVRE COLLECTIF CONTRE LA RÉFORME

J'ai participé à un collectif contre la réforme québécoise de l'éducation réalisé sous la direction de Robert Comeau et de Josiane Lavallée et qui paraît chez VLB.

Le lancement a lieu:

le lundi 3 novembre 2008,
de 17 h 30 à 19 h 30,
au Lion d’Or
1676, rue Ontario Est,
à Montréal.

Je serai malheureusement sur un avion entre Amsterdam et Montréal.

Mon texte porte sur le constructivisme radical de E. von Glasersfeld.

EXPO PRÉVERT!

Un sympathique lecteur de ce blogue m'informe de cette expo sur Prévert. Je regrette infiniment de la rater.On y voit, c'est émouvant, sa petite-fille, que je connaissais par une photo d'elle avec Prévert à Omonville-la-Petite.

HARRY HOUDINI (1874-1926) ET LE SPIRITUALISME - 7 et fin

Pensée critique et phénomènes paranormaux

Devant l’histoire du spiritualisme, une question se pose immanquablement : comment des gens qui possèdent à l’évidence la capacité à penser de manière critique, ont-ils pu succomber aux mirages spiritualistes. Question incontournable, puisque ce sont en certains cas des personnalités brillantes, éduquées et capables d’un travail intellectuel important et créateur qui ont chanté les mérites du spiritualisme. Qu’on en juge sur cette liste de quelques éminents supporters : William James (1842-1910), le grand philosophe et psychologue américain; Sir Alfred Arthur Wallace (1823-1913), le co-découvreur, avec Charles Darwin (1809-1882) de la théorie de l’évolution par sélection naturelle — en plus du spiritualisme, il a défendu la phrénologie; Sir William Crookes (1832-1919), un des plus éminents scientifiques du XIX ème siècle; Sir Oliver Lodge (1851-1940), physicien ayant contribué au développement de la télégraphie sans fil; Sir William Barrett ((1844–1925), professeur de physique au Royal College of Science de Dublin, qui sera parmi les fondateurs de l’ American et de la British Society for Psychical Research; Charles Richet, (1850-1935), professeur au Collège de France et Prix Nobel de médecine en 1913; et de nombreux autres, sans oublier bien entendu de Sir Arthur Conan Doyle lui-même, qui était, rappelons-le, médecin avant d’être écrivain et d’inventer ce parangon de rationalité qu’est Sherlock Holmes.

Comment donc comprendre l’absence de pensée critique de ces personnes devant les médiums? Le sujet est complexe et il y a sans doute plusieurs explications à considérer. Dans des travaux dont il a proposé une synthèse dans un récent article paru dans Skeptical Inquirer , D. Alan Bensley suggère pour sa part que penser de manière critique demande non seulement la maîtrise d’habiletés, mais aussi la volonté de les mettre en œuvre. Cette distinction conceptuelle permet de concevoir comment, pour toutes sortes de raisons elles-mêmes complexes, des individus peuvent fort bien, dans certaines circonstances, ne pas utiliser leurs habiletés.


La mort de Houdini


À l’automne 1926, Houdini est à Montréal. Le 8 octobre, il y a donné un spectacle au Princess Theatre. Le lendemain, il a présenté à l’Université McGill une conférence sur son travail de démystificateur. Le 22, Joselyn Gordon Whitehead, un étudiant de l’université McGill, lui rend visite dans sa loge au Princess Theatre.

Houdini pouvait et l’avait répété durant sa conférence, recevoir sur le ventre des coups de poing de n’importe qui — à condition de se préparer à les recevoir. Whitehead lui demande si cela est vrai. Houdini, qui est en train de lire son courrier répond distraitement que oui. L’étudiant s’élance et frappe quelques coups au ventre de Houdini, qui n’a pas eu le temps de se préparer. Le magicien ressent une grande douleur, qu’il pense musculaire. Il souffre en fait d’un rupture de l’appendice, qu’il tardera à soigner et qui dégénérera. C’est elle qui l’emportera.

Il est mort, confiera son épouse, en parlant de Robert Ingersoll — un auteur et conférencier qui a consacré sa vie à défendre l’agnosticisme et la libre-pensée et qui était un de ses héros. C’était le jour de l’Halloween, le 31 octobre 1926. Houdini avait 52 ans.

Il avait convenu d’un code avec son épouse, un code qu’il utiliserait pour communiquer avec elle et qui lui permettrait de détecter les charlatans parmi les médiums qui prétendraient la mettre en contact avec son époux décédé. Après des années d’échec des médiums, l’un d’eux donna effectivement le bon code : d’abord stupéfaite, Bess se souvint qu’à cette date le secret avait été éventé.

À chaque anniversaire de sa mort, Bess et des amis tentèrent de leur côté d’entrer en contact avec Houdini. Le 31 octobre 1936 eut lieu la dernière tentative et Bess mit alors fin à l’expérience, convaincue que son époux ne la contacterait pas. «C’est fini, dit-elle. Bonne nuit Harry».

Le mouvement sceptique doit énormément à Houdini. Mais il est bien triste de constater qu’il trouverait aujourd’hui encore de quoi occuper tout son temps, s’il pouvait reprendre son travail là où il l’avait laissé. Les spiritualistes contemporains ont certes changé de nom et ils s’appellent désormais des «channelers» (ce qu’on peut rendre par : canaux de communication — avec les morts, bien entendu) ou des «clairaudients» : mais ils font essentiellement les mêmes promesses à leurs innocentes et fragiles victimes qu’ils bernent d’aussi affligeante manière. Fort heureusement, d’autres, comme Randi, ont repris le flambeau.

Bibliographie


Ouvrages de Houdini


Sauf erreur, Houdini a publié neuf livres, dont deux privément. Les trois suivants ont directement rapport avec le sujet de cet article.

HOUDINI, A Magician Among the Spirits, Harper and Row, New York and London, 1924.

HOUDINI, Miracle Mongers And Their Methods: A Complete Exposé, E.P. Dutton & Company, New York, 1920.

HOUDINI, Houdini exposes the Tricks Used by the Boston Medium «Margery», Adam Press, New York, 1924.

Devenue introuvable, cette brochure semble en totalité reprise dans:

HOUDINI, Houdini on Magic, Edité par Walter B. Gibson et Morris N. Young, Dover Publications, New York, 1953. Pages 134-161. L’ouvrage compte quelques autres pages (pp.120-133) qui seront utiles aux personnes qui voudraient connaître quelques-uns des trucs utilisés par les médiums.

Ouvrages sur Houdini

BRANDON, Ruth, The Life and Many Deaths of Harry Houdini, Pan books, Basingstoke and Oxford, 2001.

CANNELL, J.C., The Secrets of Houdini (1931), réédition : Dover, New York, 1973.
(Hardcover)

KALUSH, William et SLOMAN, Larry, The Secret Life of Houdini: The Making of America's First Superhero, Atria, Ville?, 2006.

MILBOURNE, Christopher, Houdini. The Untold Story, Thomas Y. Crowell Company, New York, 1969.

POLIDORO, Massimo, Final Séance. The Strange Friendship Between Houdini and Conan Doyle, Prometheus Books, New York, 2001.
THE AMAZING RANDI et SUGAR, B.R., Presenting Houdini. His Life and Art. The World’s Most Mystifying Magician, Greatest Jailbreaking Escape Artist, Debunker of Flase Spiritualists, Grosset and Dunlap, New York, 1976.




Ouvrages sur le spiritualisme

BRANDON, Ruth, The Spiritualists. The Passion for the Occult in the Nineteenth and Twentieth Centuries, Random House, New York, 1983.

DOYLE, A. Conan, On the Edge of the Unknown, London, 1930.

KURTZ, Paul, (Éditeur), A Skeptic's Handbook of Parapsychology, Prometheus Books, New York, 1985.

dimanche, octobre 26, 2008

LANCEMENT DU VOLTAIRINE

D'espoir et de raison, le premier ouvrage en français de Voltairine de Cleyre, sera lancé mardi prochain en présence de plusieurs des nombreux collaborateurs qui ont rendu ce livre possible.

Vous êtes les bienvenus si vous êtes dans les parages.

C'est au:

CAFE CHAOS,
2031 RUE SAINT-DENIS,
MONTRÉAL
METRO BERRI-UQAM

MARDI 28 OCTOBRE 2008, DE 17H A 19H

HARRY HOUDINI (1874-1926) ET LE SPIRITUALISME - 6

La confrontation avec Margery

Le dernier grand épisode du combat de Houdini contre les médiums aura lieu en 1924. Il sera épique et l’opposera à Mina Stinson Crandon (1884-1941), alias Margery, la très jeune épouse du prospère Docteur Le Roi Goddard Crandon, de Boston.

Fin 1922, la revue Scientific American profitant de la vogue du spiritualisme, avait annoncé qu’elle remettrait un prix de 2 500$ à quiconque produirait une photographie spirite authentique et un autre prix, toujours de 2 500$, à quiconque produirait un phénomène authentique durant une séance.

Un comité pour juger des candidatures a été formé. On y retrouve William McDougall, professeur de psychologie à Harvard; Walter Franklin Prince, un psychologue et ministre du culte, qui s’intéresse aux phénomènes psychiques; Hereward Carrington, bien connu pour ses publications sur l’occulte; Daniel Comstock, qui a développé le film Technicolor; et Houdini. Mais les postulants testés échouent tous lamentablement. Puis, en novembre 1923, le docteur Crandon écrit à la revue pour soumettre la candidature de son épouse. Elle produit de si remarquables effets que le comité, qui la rencontre en l’absence de Houdini, laisse entendre dans le numéro de juillet 1924 de Scientific American être sur le point de lui décerner un prix. Précisons qu’au comité s’est alors ajouté un observateur, Malcolm Bird, mathématicien, éditeur associé de la revue et convaincu que certains des phénomènes spiritualistes se produisent sans fraude. Il écrira plus tard un livre pour défendre Margery .

À la lecture de cet article, Houdini, qu’on a écarté des tests, ne décolère pas et se précipite à Boston. Il découvre d’abord que les membres du Comité ont logé et mangé chez les Crandon, parfois durant des semaines. Que le docteur Crandon et Bird sont les contrôles de la médium durant les séances. Il s'insurge. Une séance a lieu le 23 juillet et il est un des deux contrôles. Une boîte contenant une cloche que l’on peut faire sonner en activant une pédale est déposée entre lui et Margery. Il lui tient la main et appuie son mollet contre le sien. L’obscurité est faite. La cloche sonne bien vite, activée, nous est-il demandé de croire, par l’esprit que contacte Margery, son propre frère Walter, mort neuf ans plus tôt.

Pourtant, Houdini n’est pas convaincu et en sortant de chez les Crandon il expliquera pourquoi aux membres du comité. Toute la journée, il a porté sur son mollet un élastique serré très fort qu’il a retiré juste avant la séance. La chair était devenue très sensible et il a ainsi pu ressentir chacun des mouvements de Margery, qui se déplaçait en douceur pour aller appuyer sur la pédale!




La fameuse «boîte de Margery». Houdini montre ici comment la médium aurait pu s’y prendre pour produire un de ses effets.


D’autres séances ont lieu et la confrontation entre Houdini et Margery prend des proportions épiques. Ce dernier avouera n’avoir jamais rencontré de médium aussi habile. Durant les séances, la voix de Walter se fait entendre, des objets sont projetés et la cloche sonne. Houdini démonte un à un les trucs de Margery. Au sommet de leur confrontation, il l’enfermera dans une boîte de sa conception. La rencontre entre le magicien et la médium connaîtra mille péripéties, trop complexes pour être résumées ici. Elle s’achèvera en accusations réciproques de fraude, mais le prix ne sera pas remis à Margery. Houdini publiera une brochure pour expliquer les trucs de la médium. Mais il sera dans cette aventure enfermé dans le «dilemme du démystificateur», qui est de ne jamais logiquement pouvoir prouver de proposition négative comme : il n’y a pas d’effet paranormal; il n’y a pas de survie après la mort; et ainsi de suite.

Il n’aura pas la satisfaction d’assister à la chute de Margery. Des années plus tard celle-ci produisait un effet extraordinaire : durant les séances, des empreintes digitales s’inscrivaient mystérieusement sur de la cire de dentiste. Elles étaient présumées être celles de Walter, ce qui était évidemment impossible à prouver. En tous les cas, ce n’étaient les empreintes d’aucune des personnes présentes. On finit cependant par découvrir qu'elles étaient celles … de son dentiste.

samedi, octobre 25, 2008

HARRY HOUDINI (1874-1926) ET LE SPIRITUALISME - 5

L’étrange amitié

Houdini et Sir Arthur Conan Doyle se rencontrent en 1920, durant une tournée du magicien en Angleterre. Le deuxième avait écrit au premier pour obtenir des informations sur les frères Davenport. Houdini les lui fournit avec plaisir, assurant sans vantardise que personne au monde ne connaît le sujet mieux que lui. Leur amitié sera intense, houleuse et durera jusqu’à leur rupture en 1924, lors de la publication par Houdini de A Magician among the Spirits. Elle sera aussi suivie de près par le grand public, Doyle et Houdini comptant alors parmi les personnalités les plus célèbres du monde entier.

Le créateur de Sherlock Holmes avait tôt perdu la foi dans laquelle il avait été élevé dans sa jeunesse. Il avait ensuite participé à des séances de spiritisme, mais sans être convaincu. Sa conversion date de 1916, alors qu’il reçoit d’un médium un message de son beau-frère qui le convainc. Doyle était alors un homme très fragile et gravement frappé par l’adversité. Sa première épouse était décédée quelques années plus tôt; son fils était mort en 1916, de blessures subies lors de la bataille de Somme; son beau-frère était mort à la Guerre; et sa mère venait de décéder. «Converti» à cette foi qui remplaçait celle de son enfance, il allait devenir le plus ardent défenseur du spiritualisme.

Sa crédulité, pourtant, reste confondante. Il était par exemple convaincu que Houdini lui-même était doté de pouvoirs paranormaux, qu’il utilisait pour réaliser ses tours mais refusait de l’admettre publiquement ! Pire : lors de ce qui est un des plus désolants épisodes de sa vie, en 1920, il sera convaincu que des photographies de fées prises en 1917 par deux jeunes filles, Elsie Wright et sa cousine Frances Griffiths, sont authentiques. Il écrira même un livre en 1922 pour le proclamer (The Coming of the Fairies). Les jeunes filles avoueront après la mort de Doyle ce que tout le monde savait : elles avaient découpé dans un livre des images de fées et truqué les photos.

Sa deuxième épouse, Jean Doyle, pratiquait l’écriture automatique et les Houdinis étant venus les visiter à Atlantic City, celle-ci donna le 17 juin 1922 une séance à Houdini durant laquelle la mère du magicien s’adressa à son fils. Moment intense et troublant pour lui. Mais, à tête reposée, Houdini trouva des raisons de refuser d’accorder que sa mère s’était adressée à lui: le message, d’abord, s’ouvrait sur le tracé d’une croix, ce qui est improbable pour une épouse de rabbin; il était en outre rédigé en anglais, langue que sa mère ne parlait pas («Elle l’a appris dans l’au-delà», dira Dolyle, jamais déconcerté ou à court d’hypothèses Ad Hoc); la séance avait eu lieu le jour de son anniversaire et elle n’en faisait pas mention; ajoutez à cela que les tournures de phrases n’étaient pas celles de sa mère, mais celles de Jean et l’on comprend la conclusion à laquelle arriva Houdini, conclusion qu’il ne cachera pas. Cela fut le début de la désintégration de son amitié avec Doye.

Houdini avait pourtant tenté de convaincre Doyle que des moyens ordinaires permettaient de produire les phénomènes extraordinaires produits par les médiums. En voici un exemple, authentique.



Houdini montre à Doyle et à ses amis un tableau d’ardoise ordinaire, qu’il les laisse examiner à leur guise. Aux deux coins supérieurs du tableau, des trous ont été percés par lesquels de longues cordes sont insérées et nouées. À l’autre extrémité de ces cordes se trouvent des cochets. Houdini montre également aux participants quatre petites billes de liège, une bouteille d’encre blanche, ainsi qu’une cuillère. Il demande ensuite à Doyle de suspendre le tableau à l’aide des cordes et des crochets, n’importe où dans la pièce, de sorte qu’il soit bien en vue de tous. Ceci fait, il l’invite à examiner les billes de liège et, afin de s’assurer qu’elles ne sont pas truquées, d’en choisir une et de la couper en deux à l’aide de son propre couteau. Ce qui est fait. Doyle choisit ensuite une autre bille qui est déposée avec la cuillère dans la bouteille d’encre où on l’imbibe en la retournant avant de l’y laisser. À ce moment, Houdini invite Doyle à sortir de la salle, à marcher dans la direction de son choix et aussi loin qu’il le souhaite et d’écrire sur un papier qu’il lui remet et à l’aide de son propre stylo, les mots qu’il voudra. Puis de revenir dans la salle avec ce papier dans sa poche.

Lorsque cela fut fait, Houdini invite Doyle à sortir à l’aide de la cuillère la bille de liège de l’encrier puis de la faire toucher le côté gauche du tableau et de la lâcher. Ce qui se produit alors semble absolument inconcevable. La bille semble d’abord attirée par le tableau et s’y fixe, toute seule. Puis elle se met à bouger tout doucement, toujours toute seule, laissant une trace blanche qui compose des lettres. Quand elle s’immobilise, on peut lire : « Mene, mene, tekel upharsin », qui sont, très précisément, les mots qu’avait écrits Conan Doyle!

La solution de ce mystère a été révélée des années plus tard par un biographe de Houdini . Doyle, qui a souvent raconté l’histoire, a oublié un petit détail, qui lui paraissait sans doute insignifiant : à son retour, Houdini lui a demandé de voir le papier, pour s’assurer qu’il était bien plié. Il ne l’a pas ouvert, bien entendu. Mais il lui a substitué un autre papier plié, vide, qu’il a rendu à Doyle. Il a ensuite lu le message et durant la conversation qu’il a eue avec ses spectateurs et le discours qu’il a tenu devant eux il l’a, par le biais d’un code secret, révélé à un complice. Ce complice, par une ouverture secrète dans un mur et d’un angle où son geste était invisible, a pu faire passer une baguette extensible contenant un aimant qui a rejoint l’arrière du tableau. La bille de liège choisie par Doyle avait fait l’objet d’une substitution et celle qui était dans l’encre avait un centre de métal.

vendredi, octobre 24, 2008

HARRY HOUDINI (1874-1926) ET LE SPIRITUALISME - 4

Pour commencer, le magicien prononcera un petit discours, disant par exemple : «Nous rions volontiers de ces histoires invraisemblables de sorcières en train de s’envoler à califourchon sur des balais. Mais qu’est-ce qui pourrait être plus ridicule que de croire que les morts que nous avons aimés apparaissent sous la forme d’ectoplasme à travers les dents cariées d’un médium — ou d’une autre partie de son corps? Pourquoi donc, si ceux qui nous sont chers veulent communiquer avec nous, ont-ils recours à des tables qui s’envolent, à des coups frappés et ainsi de suite à tant de lettres par coup frappé? Nos morts sont-ils devenus des comptables? Il est contraire à la morale de dévoiler des mystères légitimes. Mais il est du devoir de tout citoyen de dévoiler les tricheries et les fraudes et parmi elles aucune n’est plus méprisable que celle de ces médiums véreux qui se servent du spiritualisme pour tirer avantage de la naïveté de leurs victimes .»

Il invitera ensuite les médiums locaux à monter sur scène et à produire, sur le champ, n’importe quel effet qu’il serait incapable de produire à son tour par des moyens tout à fait normaux. Il brandira peut-être à ce moment des bons au porteur d’une grande valeur qu’il s’engage à remettre à tout médium qui relèverait avec succès ce défi.

Puis il entreprendra de raconter de croustillantes histoires sur les médiums locaux. C’est que Houdini avait pris le soin d’envoyer en éclaireurs, dans la ville où il se produit, certains de ses collaborateurs. Ceux-ci ont visité les médiums et ont obtenu d’eux des contacts avec des enfants qu’ils n’ont jamais eus, des parents qui ne sont pas encore morts et ainsi de suite. L’un de ces collaborateurs fait ces visites sous le nom de Révérend F. Raud! «Hier après-midi, dira Houdini, pour deux dollars, le médium X a mis ma collaboratrice en contact avec son époux et son enfant décédés. Ma collaboratrice n’a jamais été mariée et n’a pas d’enfant!»

Houdini invitera ensuite quelques spectateurs à monter sur scène. Afin de recréer les conditions d’obscurité dans lesquelles se déroulent les séances, il leur fera bander les yeux. À compter de ce moment, les spectateurs dans la salle auront droit à une inoubliable performance.

Les spectateurs aux yeux bandés et le magicien prennent place autour d’une table. Deux spectateurs contrôlent les mains et les pieds de Houdini. Pourtant le magicien sort un pied de sa chaussure et, ses chaussettes ayant été découpées, il s’empare avec ses orteils d’une clochette qu’il fait sonner. Les spectateurs, qui voient tout, rient de bon coeur. Puis il parvient à libérer une de ses mains et soulève la table. Des instruments de musique que Houdini manipule se mettent à flotter autour des participants. Nouveaux éclats de rire. C’est ensuite avec sa bouche que Houdini s’empare d’un cornet et en joue.





On enlève provisoirement son bandeau à un des participants, qui rédige en cachette une question sur une ardoise, qu’il recouvre d’une deuxième. Houdini les tient sous la table. Des bruits d’écriture sont aussitôt entendus. Houdini ressort l’ardoise : les participants y lisent, mystifiés, la réponse à la question posée par l’un d’entre eux! Les spectateurs dans la salle ont pour leur part pu voir Houdini gratter la table pour simuler le bruissement de la craie; substituer une ardoise à celle du spectateur, qu’il a donnée à un complice qui a rédigé la réponse avant de la lui rendre pour une dernière substitution.

Pour finir, Houdini démontrera peut-être comment on peut, avec de la paraffine, fabriquer ces mains d’esprits qui se matérialisent durant les séances et comment on peut s’y prendre pour les faire apparaître.






Même Sir Arthur Conan Doyle (1858-1930), un des plus ardents défenseurs du spiritualisme, est bien forcé d’admettre que le magicien fait œuvre utile en débusquant ainsi les faux médiums. Mais l’écrivain, lui, restera persuadé qu’il y en a de vrais. Le plus étrange est que les deux hommes seront pour un temps des amis.

jeudi, octobre 23, 2008

HARRY HOUDINI (1874-1926) ET LE SPIRITUALISME - 3

Houdini, s’il désire passionnément croire, garde donc les yeux grand ouverts. Il dira à cette période de sa vie: «Il n’y a pas de sacrifice auquel je ne consentirais pour pouvoir communiquer avec ma mère. Après des années de recherche, je garde l’espoir qu’il y a une façon de communiquer avec elle depuis cette vie-ci. […] ».Houdini, comme le dira sa biographe, «voulait terriblement être convaincu et le fait qu’il n’a pas pu l’être a été sa tragédie ».

Peu à peu, il va acquérir la conviction que le mouvement est frauduleux et dès lors entrer en guerre contre lui. Ne nous cachons pas que des considérations plus terre-à-terre ne sont sans doute pas étrangères à sa décision d’entreprendre ce combat. Houdini sent en effet parfaitement, au début des années 20, qu’il lui faudra une fois de plus se réinventer pour conserver son public, que lassent désormais les évasions et les tours plus traditionnels. Entre 1919 et 1922, le magicien s’est même lancé, sans succès, dans l’aventure du cinéma.

C’est en 1920 qu’il commence ses activités de démystificateur du spiritualisme. Il s’en expliquera ainsi: «Les magiciens sont formés pour faire de la magie et c’est pourquoi ils sont capables, pendant une séance, de détecter plus rapidement que les autres témoins des gestes trompeurs qui vous échappent si vous ne connaissez pas toutes les subtilités du détournement d’attention ». Bientôt, il n’hésite pas à se déguiser pour confronter incognito les médiums sur leur propre terrain. Des cornets flottent mystérieusement et semble-il tout seuls dans les airs? La lumière revenue, on découvrira que les mains du médium sont noircies par la suie dont Houdini avait subrepticement enduit l’instrument.




Houdini déguisé afin de pouvoir assister incognito à une séance de spiritisme. Homme de scène dans l’âme, lorsqu’il avait compris comment opérait le médium, il se levait théâtralement et déclarait en enlevant son déguisement : «Je suis le grand Houdini et je vous accuse d’imposture».


***

Si la recherche de publicité et d’un moyen de relancer sa carrière ont certainement compté dans la décision de Houdini de s’en prendre aux médiums, la générosité et la constance de son engagement interdisent de douter par ailleurs de sa sincérité quand il affirmait avoir la conviction de remplir une manière de devoir social et pédagogique. Témoignant devant le Congrès en 1926, il dira, exaspéré : «En 35 ans, je n’ai jamais rencontré un seul vrai médium. Rien qu’en Amérique, des millions de dollars sont volés à chaque année et le Gouvernement n’intervient pas : il considère que c’est une religion ».

Houdini part donc en tournée de démystification et des témoignages permettent d’imaginer à quoi pouvait ressembler une soirée passée en sa compagnie.





Ces enfants sont sur le point d’assister à une représentation durant laquelle Houdini va leur démontrer quelques-unes des méthodes frauduleuses utilisées par les médiums.

HARRY HOUDINI (1874-1926) ET LE SPIRITUALISME - 2

Le mouvement spiritualiste

Ce mouvement est né au milieu du XIX è siècle, aux Etats-Unis, et la première vague de sa popularité a été à son apogée durant les années 60 à 80. Sa popularité commence à décliner à la fin du XIXème et au début du XXème siècles; mais le mouvement connaîtra une deuxième grande vogue durant et après la Première Guerre Mondiale. On se l’explique aisément : cette guerre fait plus de huit millions de morts (et 6 millions d’invalides), ce terrible tribut de jeunes vies étant payé par des parents, des épouses, des fiancées et des enfants devenus orphelins. Pire : le guerre est suivie de la terrible pandémie de grippe aviaire (communément appelée «grippe espagnole»), qui fait un nombre extraordinairement élevé de victimes entre 1918 et 1919 — les estimations varient entre 20 et plus de 50 millions de morts. Le mouvement spiritualiste, qui offrait le réconfort de penser que ces morts vivaient en quelque sorte toujours, sur un «autre plan», qu’il était possible de communiquer avec eux et que lors de ces communications nos chers disparus venaient nous assurer que tout allait bien, ce mouvement-là apparaissait à beaucoup comme la promesse, tenue, d’une véritable consolation.

Le mouvement avait été lancé en 1848 par les deux sœurs Fox, Margaret (ou Maggie, alors âgée de 15 ans, elle mourra en 1893) et Kate (ou Katie, alors âgée de 12 ans, qui mourra en 1892) à partir du très modeste domicile familial situé à Hydesville, New York, où elles habitaient avec leur mère. Leur histoire commence le 31 mars 1848, alors que les jeunes filles prétendent avoir découvert que si elles frappaient dans leurs mains, des coups étaient frappés en réponse à ces claquements. La nouvelle attire d’abord des amis et des voisins, curieux et bientôt fascinés, puis une foule considérable dès lors qu’on découvre que ces coups peuvent s’interpréter comme désignant des lettres avec lesquelles on peut dialoguer avec l’esprit frappeur!

Une véritable frénésie pour ces coups frappés s’empare alors de l’Europe et des Etats-Unis. Bientôt, le nombre de «médiums» se multiplie en même temps que les effets qu’ils produisent. Une place à part doit être faite aux célèbres frères Davenport, Ira Erastus (1839-1911) et William Henry (1841-1877), nés à Buffalo. On leur doit en effet l’invention du «cabinet», sorte de placard où ils sont sévèrement ligotés par des membres du public et enfermés avec divers instruments de musique. Sitôt refermées les portes du cabinet, des effets se produisent: les instruments de musique jouent, puis des mains spirites paraissent à travers des ouvertures prévues à cette fin. Mais si on ouvre les portes du cabinet, on découvre que les deux frères sont ligotés, exactement comme au début de l’expérience. De l’espèce de confrontation qui s’établit entre un médium, qui produit des effets extraordinaires, et un public, plus ou moins sceptique qui demande, selon les cas, divers degrés de contrôle des conditions dans lesquelles sont produits ces effets avant de les attribuer à des forces surnaturelles, les Frères Davenport ont trouvé le moyen de sortir presque toujours gagnant. Presque, puisque, comme tant d’autres, ils seront surpris à tricher . D’autres passeront aux aveux, comme les sœurs Fox. En 1888, Margaret fait une percutante apparition à New York durant laquelle elle dénonce comme frauduleux le mouvement qu’elle et sa soeur ont lancé. Tout a commencé, expliquent-elle, comme une sorte de plaisanterie faite à leur mère. Les filles avaient découvert qu’elles pouvaient faire craquer leurs orteils et produire ainsi ces mystérieux coups frappés. Elle le pouvait toujours et en fit la démonstration. Les spiritualistes ne tirent évidemment aucun compte de ces confessions, aussitôt mises sur le compte de l’âge et de la maladie.

En attendant, peu à peu, les séances se ritualisent. Le (ou la) médium et ses clients se réunissent dans la pénombre ou dans l’obscurité la plus complète et des phénomènes étranges, attribué aux esprits, ne tardent pas à se produire : des instruments de musique se mettent à jouer seuls; des objets flottent dans les airs; des coups sont frappés; des messages apparaissent spontanément sur des ardoises; des sons étranges sont entendus; le médium semble s’élever dans les airs; des mains spirites apparaissent; des objets, appelés «apports» semblent «téléportés» et sont offerts aux participants; une étrange substance blanche appelée «ectoplasme» émerge du corps des médiums : elle paraît vivante et prend la forme de membres du corps ou de visages. En 1890 est mis sur le marché un dispositif qui permet de soi-même communiquer avec l’esprit de son choix sans l’intermédiaire d’un médium: la planche de Ouija, qui est d’ailleurs toujours disponible en vente.

La popularité du spiritualisme est telle qu’on fonde à Londres, en 1882, à l’instigation de Fellows du Trinity College de Cambridge, la première organisation vouée à l’étude scientifique des phénomènes paranormaux : la Society for Psychical Research (SPR). On y étudie notamment l’hypnose, la perception extrasensorielle, les phénomènes de personnalités multiples, les fantômes, les apparitions et, bien entendu, les médiums .


La deuxième vague du spiritualisme


C’est à ce moment que Houdini va intervenir. Nous l’avions laissé en 1918, cinq ans après la mort de sa mère, qu’il n’a cessé de passionnément chercher à «contacter», sans succès, mais espérant toujours tomber sur le véritable médium, celui ou celle qui n’aurait pas recours à la tricherie. Ce n’est pas facile, C’est qu’on ne trompe évidemment pas facilement Houdini, qui connaît toutes les ficelles du métier et toutes les manières de produire des phénomènes en apparence inexplicables. Passionné non seulement de magie, mais aussi de spiritualisme, il a réuni chez lui la plus importante collection au monde de documents sur ces sujets. Il a même rencontré chez lui, juste avant sa mort, Ira Davenport et appris de sa bouche les secrets du cabinet. Aucun des phénomènes réputés paranormaux ne lui est étranger et il est en mesure de dire comment on peut s’y prendre pour produire chacun d’entre eux.





Une photographie «médiumnique» produite par Houdini, sur laquelle on le voit en compagnie …d’Abraham Lincoln (1809-1865)! Les premières photographies spiritualistes ont été produites par un certain Mumler, de Boston, en 1860. Il fut convaincu de fraude, mais la popularité de telles photographies était toujours grande durant le premier quart du XX ème siècle et cela même si elles sont faciles à produire, soit par double exposition soit par préparation des plaques.

mercredi, octobre 22, 2008

HARRY HOUDINI (1874-1926) ET LE SPIRITUALISME - 1

[Un chapitre d'un livre à paraître aux PUL: Je doute, donc je suis. Portraits de scepiques éminents.]

***

La véritable clé
à l’aide de laquelle je me libère, c’est mon cerveau.

Houdini


Harry Houdini est probablement le magicien le plus célèbre de tous les temps — et d’aucuns ajouteraient même avec assurance: le plus grand magicien qui fut jamais. Je soupçonne cependant que certaines personnes se demanderont à quel titre son nom figure ici, dans une série consacrée aux grands sceptiques.

Et pourtant, les mouvements sceptiques du monde entier ne se trompent pas en saluant la remarquable contribution de Houdini à leur mouvement et, plus généralement, à la promotion de la pensée critique . C’est qu’en confrontant tous ces médiums et spiritualistes qui attiraient en son temps une vaste audience et jouissaient d’une immense renommée, Houdini a écrit une des plus fortes et, avouons-le, une des plus amusantes et des plus fascinantes pages de l’histoire du scepticisme.

Mais commençons par le commencement et pour cela rendons-nous à Budapest, en Hongrie, C’est en effet là, le 24 mars 1874, que naît sous le nom d’Erik Weisz (un fonctionnaire de l’immigration américaine l’orthographiera: Ehrich Weiss) celui qui deviendra Harry Houdini. Son père est un rabbin et il part bientôt pour les Etats-Unis d’Amérique où sa famille le rejoint.


Ehrich Weiss devient Houdini

Le rabbin Mayer Samuel Weiss sert à Appleton, au Wisconsin, une petite communauté germanophone, la Zion Reform Jewish Congregation. La famille est très pauvre et sa situation empire encore quand le père meurt en 1892.

Ehrich, qui est un enfant vif et agile, noue une relation extrêmement forte avec sa mère, une relation qu’il entretiendra sa vie durant et qui sera une des grandes passions de sa vie. Une autre, tout aussi précoce, sera la magie. Il la partage avec son frère, Ferencz Deszo Weisz, qui sera connu sous le nom de scène Theodore Hardeen et avec qui il donne d’abord des spectacles; puis avec celle qui deviendra son épouse en 1894, Wilhelmina Beatrice Rahner, que tout le monde appellera Bess.

Le jeune Ehrich ayant lu les mémoires de Jean-Eugène Robert Houdin (1805-1871), le fondateur de la magie moderne, il prend en son honneur Houdini pour nom de scène et Harry, la forme anglaise de Ehrich, comme prénom. Pour le moment, après avoir exercé divers métiers — dont celui d’apprenti serrurier, qui lui sera très utile plus tard — il perfectionne son art.

Voici donc Houdini au début de la vingtaine. À cette époque, il pratique une grande variété de types de magie : prestidigitation, tours de cartes, mentalisme, évasion et ainsi de suite. Il propose même des séances durant lesquelles il agit comme … spiritualiste. C’est ainsi qu’une affiche pour un spectacle donné le 9 janvier 1898 annonce que «le grand Houdini» va donner une séance durant laquelle «les tables vont s’envoler, des instruments de musique vont flotter dans les airs tout en jouant des mélodies et des mains d’esprits pourront être vues en pleine lumière». «Un comité d’hommes d’affaires, ajoute-t-on, sera sur place pour s’assurer que tout cela est réalisé honnêtement ».

Nous voici en 1899, une date importante dans la vie du magicien. Cette année-là, en effet, sur les conseils d’un impresario, il décide de centrer son numéro sur les évasions. Cette décision lui vaudra bien vite la fortune et la gloire, d’autant que l’homme de scène a un très fort sens de la publicité et a recours à tous les moyens pour se faire connaître. Entre 1900 et 1918, Houdini est une célébrité mondiale, qui multiplie des tours qui fascinent ses contemporains et qui incarne la première version du «mythe Houdini» : il est l’homme que rien ne peut retenir et qui s’évade de tout ce par quoi on tente de l’immobiliser : menottes, boîtes, cercueils, sacs de courrier, cellules, camisoles de forces (en certains cas, suspendu d’un building par les pieds à des dizaines de mètres du sol), cordes et ainsi de suite. Durant ces années, il s’évadera notamment d’un bidon de lait scellé qu’on a empli d’eau ainsi que d’une chambre de torture aquatique de son invention.

Lorsque la mode des évasions s’étiole, Houdini renouvelle son propre mythe et donne au monde des tours qui restent aujourd’hui encore fascinants. Par exemple, il paraît capable de marcher à travers un mur; il semble encore avaler quantité d’épingle et une ficelle puis, après avoir bu de l’eau, de ressortir de sa bouche les épingles attachées les unes aux autres. Mieux : en 1918, il fait disparaître l’éléphant Jenny en plein Hippodrome de New York!

Mais en 1913, un terrible événement est survenu, qui le marque à jamais : le décès de sa mère. Houdini est inconsolable et, pendant plusieurs années, il fréquente les médiums avec le fol espoir de communiquer avec sa chère maman. Car telle est bien la promesse que faisaient les spiritualistes à leurs fidèles. C’est contre eux que Houdini va bientôt entrer en guerre et c’est dans ce combat qu’il va réinventer son mythe, cette fois en se faisant le pourfendeur du paranormal. Pour comprendre la violence du conflit qui va éclater — ainsi que ses enjeux — il nous faut à présent raconter l’étrange histoire du mouvement spiritualiste, jusqu’au moment où Houdini va s’opposer à lui.

mardi, octobre 21, 2008

PENN ET TELLER

Penn et Teller, des magiciens qui font aujourd'hui le boulot de Houdini, expliquent une partie de leur art.

vendredi, octobre 17, 2008

Skepsis Congres 2008 : MAGISCH BEDRIJFSLEVEN

Je serai au Congrès sceptique des Pays-Bas, le 1 er novembre .Le programme du congrès se trouve ici.
Je dois y parler de l'OTS et Hydro Québec.

I VOTE FOR SCIENCE

[Version anglaise d'un texte paru en français.]

A new topic for the election debates
By Normand Baillargeon
Université du Québec à Montréal

Imagine the scene.

The candidates in the next federal or provincial election are in the midst of their third and last television debate. After dedicating one evening to the economy and another to social issues, they are discussing a totally different topic this evening, for the first time in history. What is it?

Let’s listen.

— “Given these data, on which the scientific community has reached a consensus, our Party is aware of the urgency of the situation. We are therefore proposing the measures set out in our program to fight global warming.”
— “We agree with this consensus and we share our opponents’ concerns. However, we think that they aren’t going far enough in the measures they propose. Also, their defence of educational reform is incompatible with a commitment to promote science and technology. All the surveys conducted show declining results for Québec schoolchildren in the sciences and mathematics. This is deplorable if we want to have a population capable of making an informed judgment on important questions like global warming. But it’s also crucial for the Québec economy to remain competitive while fighting global warming.”

You’ve guessed it: the topic of this last election debate is science and technology. And the merits of such a discussion are so obvious that we can only wonder why we haven’t considered it sooner.

Think about it. Science and technology are and will be at the centre of most of the issues and challenges – often immense – that the future holds in store for us. The environment, the economy, climate change, energy, biotechnology, medicine, transportation, communications: on each of these subjects, and on many others, the contribution of science and technology to the definition of the problems, the issues, the possible solutions, and even the vocabulary in which all this is expressed, is of the utmost importance. To ignore them is to condemn ourselves to the darkness of ignorance and put ourselves in the hands of ideologues of every stripe. To refuse to debate them collectively is to refuse to give the benefit of democratic conversation to sources of illuminating clarity that are indispensable if we don’t want to drown in propaganda.

This debate would not only allow the candidates to set out their positions on all the crucial subjects mentioned above, it would have great educational value and contribute to the acquisition of a scientific culture by every one of us, which is absolutely essential to a real understanding of most of political, social and economic issues.

This debate would make it possible to verify the attachment of our politicians to some of the values that characterize science and that should also characterize the democratic conversation — I am thinking, in particular, of intellectual honesty, the capacity to accept criticism, the ability to consider alternative hypotheses, the practice of constructive doubt and the recognition of the fallibility of our knowledge.

For all these reasons, I ardently hope that a debate will be held on science and technology in the next election campaign.

Normand Baillargeon is a Professor at UQAM. He is the author of the best seller Petit cours d’autodéfense intellectuelle

mercredi, octobre 15, 2008

ENTRETIEN AVEC HILARY PUTNAM (1/2)

Ceci est la première partie d'un entretien avec Hilary Putnam qui paraît dans le dernier numéro de la revue Médiane. La deuxième et dernière partie paraîtra dans le prochain Médiane, ce printemps.

Présentation

Le philosophe américain Hilary Putnam (né en 1926) est professeur émérite à la Harvard University, de Boston.

À la fois mathématicien et philosophe, il est l’auteur d’une œuvre considérable, où il aborde tour à tour la métaphysique, la philosophie de l’esprit, la philosophie des mathématiques, la philosophie du langage et la philosophie des sciences, mais aussi les mathématiques et l’informatique. Cette œuvre majeure et incontournable a eu de profondes répercussions dans de nombreuses disciplines philosophiques et scientifiques.

Cet intellectuel aux travaux pointus a pourtant acquis une certaine célébrité quand une version contemporaine du scepticisme cartésien qu’il a imaginé, connue sous le nom de «cerveau dans une cuve», a inspiré les créateurs du film The Matrix. Ce sujet, avec d’autres, sera abordé dans la deuxième partie de l’entretien que Putnam a accordé à Médiane.

Dans première partie, qui suit, faisant défiler un grand nombre de figures majeures de la philosophie du XXe siècle, il revient sur son parcours philosophique et se situe par rapport au pragmatisme, à la philosophie analytique, au positivisme logique et à la philosophie continentale. Il expose ensuite les idées mises de l’avant par le fonctionnalisme, cette théorie majeure de la philosophie de l’esprit dont il a été un des principaux créateurs et promoteurs avant de donner les raison des réserves qu’il entretient aujourd’hui sur cette influente position.

L’entretien que le professeur Putnam a généreusement accordé à Normand Baillargeon a eu lieu à son bureau de Harvard, le 3 janvier 2008.


L’entretien


Un parcours philosophique


— Monsieur Putnam, vous êtes comme on sait un des plus importants représentants de la tradition analytique en philosophie, que vous avez contribué à définir. Cette tradition est en partie liée au positivisme logique. Ce dernier a-t-il été important dans votre formation ?
— En fait, j’ai été formé à la philosophie avant même d’être mis en contact avec les idées des positivistes logiques. MA formation philosophique a été acquise à l’Université de Pennsylvania, où le positivisme logique n’était pas représenté. Le principal philosophe du département s’appelait C. West Churchman . Il a d’ailleurs abadonné la philosophie pour la recherche opérationnelle, domaine dans lequel il a acquis une grande notoriété — il est mort il y a quelques années et il était presque centenaire. Philosophiquement, Churchman était une sorte de pragmatiste. Son professeur à lui avait été un élève de William James : retraité à cette époque, il vivait toujours à Philadelphie.

Ma formation a donc comporté un peu de pragmatisme. Mais la plupart des philosophes américains, à cette époque, n’appartenaient pas à des écoles. Le professeur qui m’a le plus influencé est sans doute Morton White . Mais on ne pourrait pas dire de lui qu’il était un positiviste logique : il était un proche de Quine et son champ d’intérêt était la philosophie américaine.
— Situons-nous dans le temps si vous le voulez bien? Durant quelles années se déroulent vos études?
— Ces études se déroulent de 1944 à 1948, l’année où j’obtiens mon baccalauréat.
— Et qu’en est-il du pragmatisme dans votre formation? On pourrait croire qu’à cette époque l’influence de Dewey décline.
— À l’échelle nationale, ce déclin de Dewey est sans doute réel. Mais où j’étudiais, le nom de Dewey n’était pas prononcé parce qu’on y enseignait une forme de pragmatisme dont personne n’entendait parler ailleurs, le pragmatisme de Singer . Singer avait lui-même fait une thèse sous la supervision de William James et il proposait une version quelque peu excentrique du pragmatisme. Je me souviens encore de West Churchman écrivant au tableau quatre préceptes qu’il attribuait à Singer. Les voici :

La connaissance des faits présuppose la connaissance des théories.
La connaissance des théories présuppose la connaissance des faits.
La connaissance des faits présuppose des valeurs.
La connaissance des valeurs présuppose la connaissance des faits.

— On retrouve dans ces préceptes le titre d’un de vos récents ouvrages : The Collapse of the Fact/Value Dichotomy .
— Exact. J’avais oublié tout cela pendant longtemps puis, lorsque je me suis de nouveau intéressé au pragmatisme, ce m’est revenu.
— Ceci dit, plus tard, vous allez rencontrer des gens comme Carnap , Hempel , et d’autres positivistes logiques ou membres du Cercle de Vienne.
— En fait, je suis allé à Harvard durant une année avant d’aller à UCLA. J’ai alors pris des cours de mathématiques. Pour être exact, il faudrait rappeler que j’ai eu deux carrières. J’ai obtenu le professorat (tenure) en mathématiques dans ce que je pense être la meilleure université au monde pour les mathématiques, à savoir Princeton. C’était en 1960-1961. Le fait d’avoir eu — et en un sens de continuer à avoir — cette double carrière me semble une excellente chose. À Harvard, j’ai donc suivi des cours de mathématiques. Mais j’ai eu aussi des cours de philosophie, notamment avec Quine . Ceci dit, même là, je n’ai jamais eu de professeur qui était un pur positiviste logique. Même Reichenbach n’était pas un positiviste logique. Il se définissait comme empiriste logique. Et dans son grand livre Experience and prédiction, il s’en prend à ceux qu’il appelle des positivistes — et il entend par là des phénoménalistes. De plus, s’il est une thèse centrale dans la pensée de quelqu’un comme Carnap, c’est bien l’idée que les concepts d’une théorie scientifique — des mots comme électron, gène, force gravitationnelle — sont des constructions : on pourrait croire qu’ils réfèrent à des inobservables, mais ils sont une manière abrégée de parler d’observables. Reichenbach s’en prenait à cette idée. Il pensait que ces entités inobservables étaient des entités inférées. Je pense que son alliance avec Carnap a été une erreur. Le fait qu’il ait coédité Erkenntniss , qu’il ait minimisé ses divergences avec Carnap a été une source de confusion. Carnap et lui sont des philosophes bien différents l’un de l’autre. Je les aimais tous deux comme personnes, mais j’ai plus d’affinités avec certaines des idées qu’on trouve chez Reichenbach qu’avec la pensée de Carnap.
— Des gens comme Reichenbach, certes, mais aussi Carnap et les autres, apparaissent à beaucoup aujourd’hui comme des modèles d’un discours philosophique qui s’est voulu clair et rigoureux, bien loin de tout obscurantisme. Cette manière de pratiquer la philosophie va marquer la tradition analytique.
— C’est exact. Et cela a joué un rôle très important. Mais, mes professeurs n’étaient pas de stricts positivistes logiques. Ils appartenaient plutôt, justement, au courant de la philosophie analytique, une expression qui est devenue d’usage durant ma vie. Quand j’étais étudiant, si on l’employait, c’était pour référer à tout autre chose que ce que cela désigne aujourd’hui : on désignait alors ainsi une minuscule école britannique regroupant des gens comme Russell , Moore et Broad . Carnap ou Hempel n’étaient pas considérés comme des philosophes analytiques. Ce n’est qu’avec la parution de l’anthologie Readings in Analytic philosophy éditée par Feigl and Sellars que l’appellation devint d’usage courant. Les anthologistes regroupaient sous cette catégorie des écrits de pragmatistes, d’empiristes logiques, ainsi que des textes de l’école britannique dont je parlais plus haut. L’idéal de clarté est présent partout. Mais la question est alors de savoir ce qu’inclut et ce qu’exclut l’appellation ‘philosophie analytique’. Pour Russell — et Quine était russellien en ce sens — l’idée centrale était que la logique mathématique moderne nous fournissait un outil qui permettrait de résoudre les problèmes philosophiques traditionnels. De ce point de vue, Quine a été le dernier russellien. Pour Carnap, la philosophie analytique, cela voulait dire que la philosophie se transforme en une science, à savoir la logique. Reichenbach, de son côté, pensait que notre tâche consiste à montrer ce que les théories fondamentales de la physique impliquent pour les problèmes métaphysiques traditionnels, en particulier sur la nature du temps, de l’espace et de la causalité. Bref, l’expression ‘philosophie analytique’ recouvre une grande variété de positions, exactement comme l’expression philosophie continentale. Ceci dit, à l’instar de Reichenbach, je n’ai jamais pensé que la tâche de la philosophie se réduise à l’analyse de concept.

Trois traditions philosophiques

— Malgré tout, on ne peut manquer de noter une profonde différence entre ces deux manières de faire de la philosophie que vous venez d’évoquer, la continentale et l’analytique. On pourrait facilement opposer celle de Russell d’un côté, misant sur la rigueur de la logique et des mathématiques, et, au même moment, celle de Bergson, beaucoup plus littéraire. Les débats récents autour de l’œuvre de Derrida , sont une bonne illustration de ces divergences qui conduisent parfois à de mutuelles incompréhensions : certains philosophes analytiques tiennent ainsi Derrida pour un véritable charlatan. Or, vous êtes justement un des rares philosophes issu de la tradition analytique, qui, loin d’être hostile à la tradition continentale, s’y est au contraire intéressé de près et a tenté de jeter des ponts vers elle.
— Il serait d’abord peut-être sage de distinguer ici non pas deux, mais trois positions, de manière à rendre justice à cette tradition allemande dont Habermas est aujourd’hui le chef de file, et qui n’appartient ni au modèle analytique, ni au modèle continental et pour laquelle nous n’avons, semble-t-il, pas de terme.
— Et Habermas justement, philosophe qui connaît bien la tradition continentale, connaît également fort bien la tradition analytique.
— Tout à fait. Il a consacré de nombreuses années à l’étudier et cela est tout à fait remarquable. Un philosophe allemand de mes amis aime à dire : «Nous, Allemands, faisons nos devoirs.» Ce par quoi il veut dire : nous lisons tout le monde. De ce point de vue, je suis comme les Allemands, je lis tout le monde, et je pense que c’est ce que les philosophes devraient faire. Cela n’implique pas que l’on soit d’accord avec tout le monde et n’empêche pas de rester critique. Russell, dont vous parliez, avait lu les philosophes idéalistes. Il avait lu Bergson et s’il en fait une critique décapante, il l’avait d’abord lu. On ne devrait pas se contenter de ne pas tenir compte des gens avec lesquels nous sommes en désaccord. Cette attitude, qui était celle de Bertrand Russell, a me semble-t-il été perdue avec la Première Guerre Mondiale. Il y a bien sûr des philosophes continentaux qui produisent des arguments, et Habermas est l’un d’entre eux. De même Saussure , qui est un des maîtres à penser de Derrida, était quelqu’un qui produisait des arguments. Mais Derrida, lorsqu’il lui arrive d’avancer des arguments, ne le fait pas de manière très soignée. Ceci dit, il ne faudrait ramener l’ensemble de la philosophie française à une seule et même chose. Foucault , par exemple, s’est intéressé aux jeux de langage et un de mes étudiants a même retrouvé une conférence prononcée en Italie et dans laquelle il recommande de s’intéresser de plus près à Wittgenstein .
— Justement : pourriez-vous élaborer quelque peu sur votre perception de Foucault et la réception de ses idées au sein de la philosophie analytique?
— Je pense que Foucault a raison d’avoir souligné l’historicité des concepts. Quelques philosophes analytiques ont été influencés par cette idée, le plus connu d’entre eux étant probablement Hacking , qui souligne, avec raison, qu’il n’y a pas de contradiction entre le fait d’analyser des concepts et celui de reconnaître qu’ils ne sont pas des entités platoniques éternelles et qu’ils changent avec le temps. D’un autre côté, Foucault se livre essentiellement à une histoire critique de certaines institutions — la clinique, la prison — et il s’appuie surtout sur l’histoire sociale. Il tire de son travail des conclusions beaucoup plus relativistes que je ne serais disposé à admettre. Mais ce relativisme avec lequel il flirte demeure une position philosophique.
— Et pour ce qui est de Derrida?
— Avec Derrida, c’est différent. Ceci dit, je reconnais avoir appris quelque chose de lui. Dans un de ses articles, il dit ceci qui me paraît juste : lorsque vous lisez un philosophe, assure-t-il, il faut porter attention non seulement à la thèse qu’il défend, aux types d’arguments qu’il met de l’avant — en somme : à toutes ces choses qui chères aux philosophes analytiques — mais aussi aux métaphores qu’il utilise, à ses tropes. Ce faisant, il vous arrivera de découvrir que les tropes contredisent la signification littérale de la thèse soutenue. J’ai par la suite rédigé un article dans une partie duquel j’essaie de montrer que c’est précisément le cas chez Quine. La philosophie de Quine est presque entièrement exprimée sous la forme de métaphores. Finalement, dans les textes de Quine, on ne trouve que peu d’équations, mais une surabondance de métaphores. [ADD : « Par exemple, Quine pretend que] Les référents, les significations, semblent « flotter ». Bref, les philosophes analytiques pourront apprendre quelque chose même d’un philosophe comme Derrida, qui est tellement éloigné de leur tradition.
— D’aucuns argueront par ailleurs que la tradition philosophique continentale se distingue aussi de la tradition analytique par l’étendue et la multiplicité des objets auxquels elle s’est intéressée, par exemple, l’art, la littérature, le politique, et ainsi de suite.
— Certes. Mais de tels objets étaient déjà au cœur de la réflexion de Dewey. Celui-ci a par exemple été un grand penseur de l’art — son ouvrage Art as expérience est un des plus grands livres d’esthétique — et il a même été conseiller de Barnes en matière de peinture pour sa célèbre collection . Mais, comme vous le savez, Dewey s’est aussi intéressé à la politique, à l’éducation et à bien d’autres sujets. On trouve un article de lui dans un numéro de l’International Journal of Ethics du début du siècle [NO : it’s the end of the 19th century. The article is « Moral Theory and Practice », The International Journal of Ethics, I (Jan. 1891), 186-203.]— je pense que c’était en 1903 [SHOULD BE 1891] — où il parle des grèves menées par des travailleurs, et des souffrances qu’eux et leurs familles endurent. C’est probablement avec la guerre froide qu’une certaine dépolitisation de la philosophie américaine s’est produite. Et on ne peut certainement pas dire qu’elle a été causée par la venue aux Etats-Unis des philosophes analytiques. Carnap était fortement politisé. Reichenbach était à la tête des jeunes socio-démocrates à la fin de la Première Guerre Mondiale et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’a jamais pu obtenir de poste universitaire décent.
— En fait, les membres du cercle de Vienne se situaient généralement à gauche.
— Tout à fait. On l’oublie parfois, mais Carnap et Neurath ont publié ensemble un manifeste, qui figure dans les œuvres complètes de ce dernier, et dans lequel ils soutiennent que l’empirisme logique est la philosophie de la révolution prolétarienne! [rires] Quand ils sont arrivés aux États-Unis, Charles Morris leur a fait comprendre que cela ne passerait pas ici et qu’ils devaient tempérer leur propos.
— Et vous-même, vous êtes issu d’une famille de gauche et vous avez durant certaines années été très militant. Qu’en est-il aujourd’hui?
— Je me contente à présent de donner de l’argent à diverses causes. Mais je maintiens toujours un intérêt pour les questions sociales et politiques. J’ai par exemple récemment écrit un texte sur l’université et un autre, plus récent encore, sur la guerre d’Irak.


Le fonctionnalisme


— Je voudrais maintenant aborder certaines de vos théories philosophiques par lesquelles vous avez fait de si importantes contributions à la discipline. Commençons, si vous le voulez bien, par ce fonctionnalisme, cette immensément célèbre et influente théorie de l’esprit que vous avez mise de l’avant, et dont vous êtes cependant devenu vous-même critique. De quoi s’agit-il exactement?
— J’ai raconté tout à l’heure comment mon parcours m’a doté d’une double formation, l’une en mathématiques et l’autre en philosophie. Le domaine des mathématiques dans lequel je travaillais dans les années cinquante et soixante était celui de la récursivité et de la calculabilité. En tant que mathématicien je connaissais donc fort bien le travail de Turing , ainsi que les machines de Turing. Ce que le fonctionnalisme va mettre de l’avant se comprend très bien depuis cette perspective. Pour l’essentiel, il s’agit de l’idée que l’on ne devrait pas concevoir les états mentaux — croire telle ou telle proposition, douter de quelque chose, vouloir quelque chose et ainsi de suite — comme des états du cerveau (ce que suggérait par exemple J. J. C. Smart ), mais plutôt comme la réalisation (implantation) d’états d’un programme (software). Ceci dit, ma critique du fonctionnalisme ne signifie pas que je le répudie. Je pense toujours que le fonctionnalisme constitue une intéressante porte d’entrée dans les problèmes de la philosophie de l’esprit en cette ère post-informatique en laquelle nous vivons. Mais c’est aussi une position trop simple et trop réductionniste. Un argument qui était soulevé contre l’ancienne théorie de l’identité du cerveau et de l’esprit, qui soutenait que les états mentaux sont des états du cerveau, concernait leur possible multiple réalisation (multiple realisability). Prenez par exemple la croyance qu’il y a plusieurs églises à Vienne. On a toutes les raisons de penser qu’elle peut être réalisée par plusieurs états cérébraux différents, par différents états physiques, neuronaux, par différentes configurations neuronales. Mais le fait est que cet argument peut être retourné contre le fonctionnalisme. Puisqu’il n’y a pas de raison de croire qu’il n’y a qu’un seul programme impliqué, on retrouve donc cette possible multiple réalisation (mutiple realisability) au niveau computationnel. Et c’est là une des raisons pour lesquelles je pense qu’un fonctionnalisme inspiré de la machine de Turing constitue une trop grande simplification.

[à suivre…]

(Propos recueillis et traduits par Normand Baillargeon, qui signe aussi les notes qui accompagnent ce texte)

jeudi, octobre 09, 2008

AVORTEMENT: UNE EXPÉRIENCE DE PENSÉE

Récemment, le Parlement canadien a adopté à Ottawa, en deuxième lecture, un projet de loi appelé C-484. Ce projet de loi, s’il aboutit, modifierait le Code criminel en faisant du fœtus une personne légale.

De nombreux groupes et observateurs craignent que cela ne constitue le premier pas vers une re- criminalisation de l’avortement. D’autres, on le devine, s’en réjouissent et espèrent bien que C-484 sera le premier pas vers la re-criminalisation de l’avortement.

Faut-il dès lors s’attendre à une reprise du débat public sur cette question? C’est possible. Mais quoiqu’il en soit, le débat sur l’avortement n’est jamais entièrement sorti des pages des écrits des philosophes, où il figure en bonne place, depuis des décennies, comme l’archétype du problème éthique où les deux camps échangent, inlassablement, des arguments qu’ils jugent décisifs.

L’un de ces arguments, très célèbre, prend la forme de ce qu’on appelle une «expérience de pensée». Et c’est là le sujet dont je voudrais vous entretenir cette fois.

Pour commencer, je vous dirai ce qu’est, précisément, cette chose étrange qu’on appelle une «expérience de pensée».

Ensuite, je vous en raconterai une, célèbre et importante, tirée de l’histoire de la physique.

Pour finir, je vous raconterai l’expérience de pensée concernant l’avortement que j’évoquais plus haut et nous tenterons ensemble de voir, sur ce cas précis, les avantages et les inconvénients, la portée et les limites de cette manière de réfléchir à une question donnée.

Ce que sont les expériences de pensée


La catégorie est large, mais on pourra dire, en première approximation, qu’il s’agit de situations idéales et imaginées qui nous permettent de réaliser, «de tête», quelque chose comme des tests ou des mises à l’épreuve d’idées et d’hypothèses et d’explorer les conséquences de certaines de nos intuitions.

De telles expériences de pensée ont été réalisées tout au long de l’histoire de la philosophie et de l’histoire des sciences et elles ont parfois joué un rôle prépondérant dans leur développement. Les meilleures d’entre elles aident en effet à clarifier nos idées, à formuler plus précisément des problèmes, à faire remarquer des contradictions et même à établir la plausibilité de certaines idées ou théories.

Mais tout cela reste bien abstrait et le mieux est encore de donner un exemple.

Un exemple : le seau de Newton

Qu’est-ce au juste que l’espace? La question est immensément difficile et quand la physique classique s’est constituée, deux réponses s’affrontaient.

La première assurait que l’espace n’est rien d’autre que les relations entre les objets du monde. Si vous voulez, l’espace, ici, est compris un peu sur le modèle d’un contrat, dans le sens où un contrat est quelque chose qui lie deux personnes. Supprimez l’une ou l’autre de ces personnes (ou les deux) ou leur relation et il n’y a plus de contrat, lequel n’existe donc pas en dehors des contractants et des relations qui les lient. De même, le monde est constitué d’objets en relation et l’espace, assurent les partisans de cette théorie, n’est rien d’autre que ces objets et leurs relations. Cette position était défendue par plusieurs personnes, dont le philosophe et mathématicien G. W. von Leibniz (1646-1716).

Le fondateur de la physique moderne, Isaac Newton (1643-1727), n’était pas d’accord. Il pensait, lui, qu’il existe un espace (et un temps) absolu(s). Newton, si on ose simplifier beaucoup, pense l’espace sur le modèle d’une boîte de céréales. De ce point de vue, il existe bel et bien un espace (l’intérieur de la boîte) dans lequel les objets (les morceaux de céréales) se trouvent et on peut décrire les relations de ces objets par rapport à ce référent absolu.

Vous l’avez deviné : il y a une grosse différence entre la boîte de céréales et l’espace absolu. Pour Newton, l’espace absolu est un contenant comme la boîte, mais qui se prolonge infiniment dans toutes les directions. De la même façon, pour Newton, il existe un temps absolu. Comment décider entre ces deux théories, celle de Newton et celle de Leibniz ? Newton a cru pouvoir trancher en faveur de la sienne à l’aide, justement, d’une expérience de pensée. La voici.

Imaginez un seau à demi rempli d’eau. Il est suspendu par une longue corde au plafond d’une pièce.

Moment 1 : l’eau est immobile relativement au seau et la surface de l’eau est plane. À présent, vous tournez la corde de très nombreuses fois. Puis, vous relâchez.

Moment 2 : le seau se met à tourner ; l’eau reste plane et immobile pendant que le seau est en mouvement (il tourne) par rapport à l’eau.

Moment 3 : le seau continue à prendre de la vitesse et communique son mouvement à l’eau qui se meut avec lui et à sa vitesse ; eau et seau sont alors immobiles l’un par rapport à l’autre ; on constate alors aussi que l’eau a monté sur la paroi du seau et que sa surface n’est plus plane, mais se creuse au centre.



Newton pose la question suivante : qu’est-ce qui fait monter l’eau sur les parois du seau au moment 3 ? Son mouvement, sans doute. Mais mouvement par rapport à quoi ? Pas par rapport au seau, évidemment puisqu’ils sont alors immobiles l’un par rapport à l’autre, comme au moment 1.

Newton répond à sa propre question : l’eau est en mouvement par rapport à l’espace absolu et c’est ce qui explique la courbature de sa surface. C’est aussi ce qui permet de distinguer absolument le moment 1 du moment 3. L’espace absolu existe donc, conclut Newton, et il a, on vient de le voir, des effets observables.

Brillant? Sans l’ombre d’un doute. Permettant d’éclaircir une question et d’en dégager les divers aspects? Certes. Mais, concluant? Pas vraiment. En fait, la conception newtonienne de l’espace sera justement remise en cause par la physique moderne, plus précisément par Albert Einstein dans le cadre de la relativité (restreinte puis générale).

On soupçonne donc que s’il y a des avantages à pratiquer des expériences de pensée, il a aussi des limites à ce qu’on peut en attendre. Nous y reviendrons.

Pour le moment, venons-en à cette expérience de pensée concernant l’avortement à laquelle je voulais arriver. Elle a été imaginée en 1971 par Judith Jarvis Thomson et en voici une version simple.(Source: «A defense of Abortion», Philosophy and Public Affairs, 1 , No 1, 1971.)

Une expérience de pensée sur l’avortement : le violoniste virtuose

Une personne déambule tranquillement dans la rue et se réveille quelques heures plus tard à l’hôpital, où elle apprend qu’elle a été droguée et enlevée par des membres de l’Association des Amoureux de la Musique.

Elle aperçoit, horrifiée, des câbles et des tubes qui sortent de son corps et qui se dirigent vers une autre personne, un homme, couché près d’elle. On l’informe que cet homme est un immensément célèbre violoniste virtuose. Hélas ! Certains de ses organes sont gravement malades, au point où il est récemment tombé dans le coma ; il mourra bientôt si rien n’est fait.

Heureusement, explique-t-on à la personne kidnappée, vous (et vous seul) êtes médicalement parfaitement compatible avec le pauvre violoniste comateux et c’est pourquoi on a branché certains de vos organes sur les siens : cela lui permet de régénérer ses organes malades et de se refaire une santé.

Et rassurez-vous, dit-on pour finir, cela ne durera pas éternellement : dans neuf mois (ou à peu près, estiment les médecins), le violoniste pourra survivre sans vous ! Et vous n’allez certainement pas demander qu’on vous débranche : si vous le faites, vous allez tuer un innocent qui a droit à la vie, ce qui est parfaitement immoral !

Pour bien comprendre ce que Thomson chercher à établir par cette expérience de pensée, il faut dire un mot d’un aspect du débat concernant l’avortement.

Typiquement, les opposants font valoir que le fœtus est, sinon dès la conception du moins très tôt durant son développement, un être vivant qui a droit à la vie : avorter est donc selon eux un meurtre, puisque cela revient à causer la mort d’un tel être.

À cela, les défenseurs de l’avortement répondent que le fœtus n’est pas un être vivant et qu’un avortement durant les X (x pouvant varier, mais laissons cela ici) premiers mois de la grossesse, n’est rien d’autre qu’enlever une masse de tissus du corps d’une femme.

Le débats reprennent donc, interminables et difficiles, autour de la question de savoir ce qu’est un être vivant et si le fœtus en est un. L’expérience de pensée de Thomson accorde aux opposants à l’avortement que le fœtus est un être vivant, mais suggère qu’on peut néanmoins conclure que l’avortement est moralement justifié !

C’est ce que la situation de la personne kidnappée montrerait. Certes, ce serait généreux et noble se sa part de rester branchée sur le violoniste durant neuf mois : mais elle n’est aucunement moralement obligée de le faire. Et si le violoniste meurt de la décision de se débrancher, il serait inapproprié de dire que la personne qui l’a prise est un meurtrier.

L’expérience de pensée invite notamment à distinguer entre le droit à la vie et le droit à ce qui est nécessaire pour maintenir en vie. Le violoniste (et le fœtus) ont droit au premier, mais cela n’entraîne pas nécessairement le droit au deuxième.

On pourra chercher à montrer que le parallèle entre le passant kidnappé et la femme enceinte est boiteux. Celui-ci n’a rien fait pour mériter son sort ; la femme enceinte, si. On dira alors peut-être que l’expérience de pensée de Thomson ne vaut que pour les cas de grossesses résultant d’un viol. Mais il n’est pas difficile, comme el suggère Peter Singer, de reformuler l’expérience de pensée pour qu’elle s’applique plus généralement. Imaginez qu’ayant un peu trop fêté un soir, un employé d’un hôpital aboutisse à l’étage interdit de l’établissement et s’endort sur un lit. Au matin, il est branché comme tout à l’heure, parce qu’il a été pris par erreur pour un volontaire pour une expérience donnée. Ici encore, on ne dirait pas qu’il serait immoral de sa part de demander à être débranché.
On pourra d’autre part soutenir que la femme enceinte a plus que la personne branchée au violoniste le droit de se «débrancher». Elle ne sera pas branchée pendant seulement neuf mois, mais contractera envers le fœtus des obligations qui dureront toute sa vie à elle ; de plus, elle mettra fin à une vie potentielle, pas encore commencée et à l’accomplissement incertain, tandis que le violoniste vit d’une vie actuelle et accomplie.

Pourtant, répondront les adversaires de l’avortement, le foetus, faible et sans défense, a droit à la protection de sa mère. Et neuf mois à pouvoir se déplacer, voilà qui est moins difficile et contraignant que neuf mois branché et immobile. Et puis ce foetus n’est pas un être étranger pour qui le porte : le violoniste, si.

Je vous laisse poursuivre dans cette voie.

On voit ainsi les mérites et les limites des expériences de pensée, qui font ressortir des aspects de certaines questions et de divers problèmes, permettent d’y réfléchir ; mais ne les tranchent pas nécessairement pour autant.

Et cette fois encore, je suis tenté de dire : Brillant? Sans l’ombre d’un doute. Permettant d’éclaircir une question et d’en dégager les divers aspects? Certes. Mais, concluant? Pas vraiment.

Une lecture

COHEN, Martin, Wittgenstein’s Beetle. And Other Classic Thought Experiments, Blackwell, London, 2005. Cohen présente 26 célèbres expériences de pensée, qu’il décline de A à Z.

mercredi, octobre 08, 2008

SCIENCE CORANIQUE

Faut-il pleurer, faut-il en rire... (air connu).


LA BANNIÈRE DE LA RÉVOLTE, L’ÉTENDARD DE LA LIBERTÉ : LA VIE ET L’ŒUVRE DE VOLTAIRINE DE CLEYRE (8 et fin)

***
Nous avions laissé Voltairine en 1906. Elle noue à cette époque une amitié qui durera jusqu’à sa mort avec Alexander Berkman, qu’elle encourage à écrire ses Prison Memoirs. Berkman, de son côté, éditera en 1914, à la Mother Earth Publishing Association, la première anthologie des écrits de Voltairine de Cleyre.

À l’hiver 1908, lors d’une manifestation de chômeurs à Philadelphie — une des nombreuses qui secoue le pays, qui se trouve de nouveau en grave crise économique — elle est arrêtée, puis jugée, mais sera finalement trouvée non coupable. À ce moment, la situation financière de Voltairine s’est améliorée; mais c’est sa condition physique qui se détériore, en même temps que son moral.

Elle est malade et isolée, et certains de ses écrits et de ses lettres de l’année 1908 laissent deviner une femme aux prises avec une grande crise morale, un immense désespoir et une infinie tristesse. Elle voit alors le monde comme «une vaste conspiration où les gens se tuent les uns les autres, où la justice ne règne nulle part et où il n’y a de dieu ni dans l’âme, ni hors d’elle». Et encore : «Il ne se passe pas un seul jour sans que la souffrance de ce petit être de nos rues ne suscite en moi une rage amère contre la vie elle-même ».

Pire : elle se prend à douter de la victoire de l’anarchisme, du triomphe de cette Idée dominante qui a été son Étoile du Nord et le point fixe de toute son existence. Et si, se demande-t-elle avec angoisse, l’ignorance et les préjugés devaient finalement l’emporter? Elle se remet alors douloureusement en question : qu’a–t-elle accompli, elle, pour empêcher la victoire de la vie sordide sur l’accomplissement de la liberté? «Tout en moi est ruines», écrit-elle. Et encore : «Dans ma bouche, tout est amertume; tout devient cendre entre mes mains ».

Voltairine finit par se laisser convaincre qu’il lui faut déménager, changer d’air et quitter Philadelphie. Le 7 octobre 1910, elle part donc pour Chicago, dont elle a choisi de faire sa nouvelle demeure. En route, elle prononce quelques conférences, où elle parle notamment de Francisco Ferrer i Guàrdia (1859-1909), le pédagogue anarchiste espagnol assassiné par l’État espagnol l’année précédente, et dont les idées inspirent la création d’écoles anarchistes aux Etats-Unis.

Chicago et les derniers mois de Voltairine

C’est ce mouvement de rénovation pédagogique auquel elle s’intéresse de près qui l’occupe d’abord, à Chicago.

Puis, au printemps 1911, une révolution éclate au Mexique pour laquelle elle se passionne — et tout particulièrement pour l’action et les idées de Ricardo Flores Magón, un anarchiste mexicain. Dès juin, elle devient la correspondante du journal Regeneración et s’active en faveur des insurgés mexicains.

La dernière année de sa vie commence — et ce sera peut-être la plus militante de toutes. La révolution mexicaine l’occupe, certes, mais aussi le mouvement ouvrier aux Etats-Unis, où se mènent des luttes violentes qui la radicalisent encore. Elle multiplie les conférences, les débats, les publications, les harangues, les levées de fonds et déborde d’activités. Son tout dernier poème, intitulé Written in Red, est dédié aux insurgés du Mexique et on pourra le lire plus loin.

En avril 1912, elle est à bout de souffle. Le 17, elle est admise à l’hôpital. Le cerveau est atteint par l’infection et on l’opère, par deux fois, sans succès.

Voltairine de Cleyre est morte le 20 juin 1912. Elle avait 45 ans. Plus de deux mille personnes assistent à son enterrement, au cimetière Waldheim, à Chicago.

Sa tombe est située tout près de celles des martyrs du Haymarket. En 1940, Emma Goldman sera enterrée près d’elle.

En 1908, dans Our present attitude (ce texte est ici traduit sous le tire : Où nous en sommes) elle avait écrit : «Oui, je crois que l’on peut remplacer ce système injuste par un système plus juste; je crois à la fin de la famine, de l’abandon, et des crimes qu’ils engendrent; je crois au règne de l’âme humaine sur toutes les lois que l’homme a faites ou fera; je crois qu’il n’y a maintenant aucune paix et qu’il n’y aura aucune paix aussi longtemps que l’homme règnera sur l’homme; je crois en la désintégration et la dissolution complètes du principe et de la pratique de l’autorité; je suis une anarchiste, et si vous me condamnez, je suis prête à recevoir votre condamnation. » (Où nous en sommes, page XXX)

Que ces mots et le programme qu’ils dessinent puissent à tant d’égards toujours valoir pour bon nombre d’entre nous, qu’ils puissent encore nous aider à dire où nous-mêmes en sommes et où nous espérons aller, voilà qui nous rappelle tout à la fois l’acuité de la vision de Voltairine de Cleyre, la hauteur des ambitions qui n’ont cessé de l’animer et la somme du travail qu’il nous reste à accomplir.

Nous avons ouvert ce texte en citant le poème que de Cleyre dédiait à Wollstonecraft. Fermons le sur les derniers mots de ce texte, qui valent aussi pour la rebelle magnifique que fut Voltairine de Cleyre :

La poussière engendre la poussière
L’herbe, le sentier, le tombeau
Le papillon de nuit et la rouille
Ont changé
Ont passé
Été foulés
Eté blessés
Mais rien n’a pu empêcher
Que dans le cœur vibrant du monde
Elle vit encore



Normand Baillargeon
Chantal Santerre
Saint-Antoine-sur-Richelieu
Printemps 2005- hiver 2007

mardi, octobre 07, 2008

SLAPP

[Une version remodelée de ce texte est parue dans Siné Hebdo]

S’il y a bien une chose que les institutions dominantes de nos démocraties libérales n’aiment guère, c’est que le public soit réellement informé des grands enjeux sociaux, économiques et politiques et les discutent sérieusement avant d’exercer une réelle influence sur les prises de décision: démocratie, oui, sans doute, mais pas trop. C’est ainsi qu’au Canada et aux États-Unis, comme ailleurs, tout un tas de mesures sont couramment déployées pour éviter le grave danger que présente ce que la Commission Trilatérale a déjà pudiquement nommé le «surcroit de démocratie», c’est-à-dire le fait que les gens se mêlent de ce qui les regarde.

Posséder les médias d’information est un de ces moyens, déployé par les corporations. Mais les États ne sont pas en reste : par exemple des fonctionnaires gênants sont mis à pied, des recherches sont commandées à des scientifiques complaisants, des données sont dissimulées, des textes supprimés et des rapports d’une immense importance sont rendus publics à des moments où ils ont le plus de chance de passer inaperçus.
Mais il arrive que tout cela ne suffise pas. C’est pour ces cas-là qu’a été imaginée une nouvelle stratégie, dont l’usage se repand à grande vitesse : les SLAPPs.

Ce sont des Strategic Lawsuit Against Public Participation et en français, ça se traduit par «poursuite bâillon», en d’autres mots par «ferme-ta-gueule».
Écosociété, une petite maison d’édition indépendante qui a notamment publié Noam Chomsky, en sait quelque chose. Ce printemps, on y publiait Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique. Le livre documente les agissements de sociétés aurifères canadiennes en Afrique. Ce qu’on y lit est terrifiant, mais les auteurs du livre assurent s’être appuyés sur des sources sûres : des documents de l’ONU, des rapports de Human Rights Watch, des dépositions faites au congrès des Etats-Unis, par exemple.

La réaction n’a pas tardé : on a d’abord cherché à interdire la publication du livre puis, quand Écosociété a refusé de céder, une SLAPP est tombée. En fait, deux.
En mai, Barrick Gold, qui est la plus grosse compagnie aurifère au monde, avec $1 , 73 milliards de profits nets en 2007, a réclamé six millions de dollars à Écosociété. En juin, rebelote, comme vous diriez chez vous : cette fois, c’est Banro, une société minière ontarienne, qui réclame cinq millions de dollars. Au total, onze millions sont exigés d’Écosociété, soit plus de 7 millions d’euros.
Avant même de commencer, le procès la cloue au sol. Écosociété doit mobiliser toutes ses ressources financières et humaines pour assurer sa défense. Pire : sa mission première, publier des livres d’intérêt public et susciter des débats de fond est sérieusement compromise, tandis que tous les autres éditeurs y penseront à deux fois avant de publier un livre qui s’attaque aux grandes corporations.

Les SLAPPs auraient existé durant le Guerre d’Espagne, on aurait interdit à Picasso de peindre Guernica et à Orwell de publier Hommage à la Catalogne.

Mais Écosociété prépare sa défense. Elle a reçu des tas d’appuis, par exemple de Hubert Reeves, de Richard Desjardins, de Naomi Klein, de Noam Chomsky et de nombreux autres. La petite maison d’édition en a grandement besoin. La démocratie, la vraie, celle dont il ne saurait y avoir de surcroît, également.

Pour appuyer Écosociété, visitez :[http://slapp.ecosociete.org/]

LA BANNIÈRE DE LA RÉVOLTE, L’ÉTENDARD DE LA LIBERTÉ : LA VIE ET L’ŒUVRE DE VOLTAIRINE DE CLEYRE (7)

Un anarchisme «sans qualificatif»

Après avoir adhéré à l’anarchisme, Voltairine, on l’a rappelé plus haut, a d’abord été proche de Benjamin Tucker (1854-1939) et de son organe, la revue Liberty. C’est d’ailleurs là que paraît le texte qui ouvre notre anthologie, La tendance économique de la libre-pensée.

Elle y suggère que la lutte en faveur de la liberté de conscience et contre les superstitions religieuses du XVIe et XVIIe siècles se prolonge au XVIIIe en lutte pour la liberté politique et contre le despotisme des monarchies puis, à son époque, sur le terrain économique. On trouve ainsi, assure-t-elle, dans cette libre-pensée entendue comme l’exigence de proportionner sa croyance aux faits et aux arguments et dans ce refus de céder à l’autorité qui l’anime, le principe même de l’anarchisme. Voltairine cite ainsi, mais pour l’approuver, ce mot du Cardinal Manning qui condamnait à ses yeux à la fois la libre-pensée et l’anarchisme : «La libre-pensée conduit à l’athéisme, à la destruction de l’ordre social et civil et au renversement du gouvernement» De Cleyre rétorque : «J’accepte l’énoncé de ce gentilhomme ; je lui reconnais une perspicacité intellectuelle que nombre de libres-penseurs n’ont pas : acceptant cela, je devrai faire de mon mieux pour le prouver, et faire tout en mon possible pour montrer que ce principe très iconoclaste est le salut des esclaves de l’économie par la destruction de la tyrannie économique.» (page XXX)

Dans Anarchisme et traditions américaines, un de ses écrits les plus importants, elle montre comment la Révolution américaine et la république qu’elle institue ont vu peu à peu leur nature, leur sens, leurs idéaux et leurs moyens, être oubliés ou pervertis. Examinant l’état de l’éducation, de l’économie, de la vie politique, du gouvernement, de l’armée, du commerce aux Etats-Unis, elle conclut : « Et maintenant, qu'est-ce que l’anarchisme répond à tout cela, à cette faillite du républicanisme; à cet empire moderne ayant poussé sur les ruines de notre liberté initiale? Nous affirmons que la faute de nos ancêtres est de ne pas avoir fait entièrement confiance à la liberté. Ils ont cru possible de faire un compromis entre la liberté et le gouvernement, persuadés que ce dernier était un mal nécessaire, et dès l’instant où ce compromis a été fait, toute la tyrannie actuelle a commencé à croître en toute illégitimité. Les instruments mis en place pour sauvegarder les droits sont devenus les instruments de torture de la liberté.» (Anarchisme et traditions américaines, page XXX)

Elle raconte ensuite son propre parcours dans Pourquoi je suis anarchiste. On notera combien Voltairine y fait déjà éclater les frontières entre le personnel et le politique, à l’instar des féministes du XXe siècle et n’hésite pas à évoquer non seulement les raisons intellectuelles de son adhésion à l’anarchisme, mais aussi ses causes émotionnelles. Déjà, dans ce texte de 1897, elle exprime très honnêtement ses doutes et ses incertitudes quant à la forme d’organisation politique et économique que prendrait ou devrait prendre une société libre.

Il faut à ce sujet rappeler que Tucker, aux idées duquel de Cleyre a d’abord été attchée, est un des plus illustres représentants d’un anarchisme dit individualiste, lequel est fortement teinté par l’histoire et les circonstances particulières des Etats-Unis — et à vrai dire incompréhensible sans elles. Voltairine s’est donc d’abord identifiée à ce courant, mais elle va ensuite s’en éloigner, être tenté par l’anarchisme mutualisme, puis par l’anarcho-communisme avant de se déclarer anarchiste sans qualificatif.

L’anarchisme individualiste qui a été engendré sur le sol des Etats-Unis trouve son premier représentant en Josiah Warren (1798-1874), parfois surnommé le «Proudhon américain», et qui peut sans conteste revendiquer le titre de premier anarchiste américain. Inventeur (on lui doit notamment une des toutes premières conceptions de la presse rotative), écrivain, musicien, Warren développe un anarchisme qu’irrigue l’esprit des pionniers et que Voltairine décrit dans Naissance d’une anarchiste.

Un principe libéral de souveraineté de l’individu hérité de John Stuart Mill se conjugue ici à une défense, elle aussi libérale et inspirée cette fois de John Locke, du droit de propriété sur le produit de son travail.

Voltairine a adhéré à ces idées et on peut le constater en lisant par exemple le texte de ce discours qu’elle prononce le 16 décembre 1893, à New York, alors qu’elle se porte à la défense d’Emma Goldman, récemment arrêtée pour les recommandations qu’elle a adressées à des chômeurs dans un discours («Demandez du travail!, leur avait-elle dit. S’ils ne vous donnent pas de travail, demandez du pain! S’ils ne vous donnent ni pain, ni travail, prenez le pain!»). Voltairine souligne à cette occasion ce qui la sépare de l’anarcho-communisme de Goldman et son attachement aux idéaux anarcho-individualistes: «Elle et moi soutenons des points de vue bien différents en matière d’économie et de morale. […] Mademoiselle Goldman est une communiste; je suis une individualiste. Elle veut détruire le droit de propriété; je souhaite l’affirmer. Je mène mon combat contre le privilège et l’autorité, par quoi le droit à la propriété, qui est le véritable droit de l’individu, est supprimé. Elle considère que la coopération pourra entièrement remplacer la compétition; tandis que je soutiens que la compétition, sous une forme ou sous une autre, existera toujours et qu’il est très souhaitable qu’il en soit ainsi .»

Mais elle abandonne bientôt cette position, que la naissance des corporations rend de de plus en plus intenable. Elle s’en explique dans La Naissance d’une anarchiste (page XXX), soulignant notamment que «dans les vingt dernières années l’idée communiste a fait d’énormes progrès, principalement en raison de la concentration de la production capitaliste qui a poussé les travailleurs américains à s’accrocher à l’idée de la solidarité et, deuxièmement, en raison de l’expulsion d’Europe de propagandistes actifs.»

Mais Voltairine n’en restera pas là et aboutira finalement à une position sagement ouverte et critique, refusant de fixer par avance à quoi ressemblera une société libre et accueillant tout ce qui peut contribuer à son avènement. Elle écrit, toujours dans La Naissance d’une anarchiste (page XXX): «[…] un nouveau changement est survenu dans les dix dernières années. Jusqu’alors, l’application de cette idée était limitée aux questions industrielles. Les écoles économiques se dénonçaient mutuellement. Aujourd’hui une grande et cordiale tolérance se répand. La jeune génération reconnaît l’immense portée de l’idée dans tous les domaines des arts, des sciences, de la littérature, de l’éducation, des relations entre les sexes, de la moralité, de même qu’au niveau de l’économie social. Elle accueille dans ses rangs tous ceux qui luttent pour une vie libre, peu importe leur domaine d’action.»
Certaines remarques qu’on trouve dans un essai simplement intitulé Anarchism sont à ce sujet éclairante. Après avoir rappelé en quoi consistent plusieurs de ces modes d’organisation économique de l’avenir que préconisent diverses tendances du mouvement anarchiste, de Cleyre y rappelle que tout anarchiste, ou du moins tout anarchiste sincère et raisonnable, est tout à fait disposé à abandonner le type d’organisation économique qu’il préconise au profit d’un autre dont on lui aura montré qu’il est préférable. Elle ajoute encore que la variété des circonstances et des environnements jointe à notre difficulté à clairement imaginer l’avenir feront sans doute que les divers modèles qu’elle a exposés, ainsi que d’autres, pourront, avec profit, être mis à l’épreuve, ici ou là. Et elle ne cache d’ailleurs pas que même si chacun de ces modèles lui paraît de nature à accroître la liberté des individus, aucun ne la satisfait pleinement : «Le socialisme et le communisme, rappelle-t-elle, exigent un degré d’effort conjoint et d’administration qui appelle une quantité de régulation qui est incompatible avec l’anarchisme; l’individualisme et le mutualisme, qui reposent sur la propriété, débouchent sur le recours à une police privée qui est incompatible avec ma conception de la liberté ».

Dans Naissance d’une anarchiste, elle résume sa position en reprenant à Fernando Terrida del Mármol l’idée d’un anarchisme sans qualificatif: «Je ne m’appelle plus autrement que simple anarchiste.» (page XXX)

Cette attitude en est aussi une d’ouverture vers les idées et l’essai intitulé L’idée dominante, un texte puissant et aux accents prémonitoires, montre l’importance que leur accorde Voltairine. Elle y argue avec force, contre un certain matérialisme, de l’importance des idées pour le changement social et pour une plus juste appréciation du rôle et de la puissance de l’Idée qui domine une époque. «La doctrine que les circonstances sont tout et les hommes rien, écrit-elle, a été et est le fléau de nos modernes mouvements de réforme sociale.» (page XXX)

Cherchant à cerner celle qui domine la sienne, elle la trouve dans un consumérisme et un productivisme aveugle et vain : «La grande idée de notre siècle, l’idée originale, point empruntée aux autres, qui n’est ni surfaite, elle, ni le fruit de la magie, c’est de « faire beaucoup de choses ». - Non point faire de belles choses, non point éprouver la joie de dépenser de l’énergie vivante à une œuvre créatrice, mais forcer, surmener, gaspiller, épuiser sans vergogne et sans merci l’énergie jusqu’à la dernière goutte, uniquement pour produire des masses et des monceaux de choses, - des choses laides, nuisibles ou pour le moins largement inutiles. Dans quel but ? Le plus souvent le producteur l’ignore ; plus encore, il ne s’en soucie point. Il est tout simplement possédé, entraîné par l’idée fixe qu’il doit produire ; chacun le fait et chaque année on produit davantage et plus vite. Il y a des montagnes de choses faites et en train de se faire, et cependant l’on rencontre encore des hommes qui se démènent désespérément pour tâcher d’ajouter à la liste des choses déjà créées, pour se mettre à en édifier de nouveaux monceaux et à grossir les entassements qui existent. Au prix de quelle agonie corporelle, de quelle impression et de quelle appréhension du danger, de quelles mutilations, de quelles hideurs, poursuivent-ils leur route, pour s’aller finalement briser sur ces rochers de la richesse ?» (page XXX).

Lutter contre cette idée dominante est une des hautes tâches à laquelle elle s’attache et nous invite à nous attacher. « A la fin de votre vie, vous pourrez fermer les yeux en disant : « Je n’ai point été gouverné par l’Idée Dominante de mon siècle. J’ai choisi ma propre Cause et je l’ai servie. J’ai prouvé par toute une vie d’homme qu’il est quelque chose en l’homme qui le sauve de l’absolue tyrannie des Circonstances, qui en triomphe et les refond, et cela c’est le feu immortel de la Volonté Individuelle, laquelle est le salut de l’Avenir ». (page XXX)


[À suivre]

lundi, octobre 06, 2008

LA BANNIÈRE DE LA RÉVOLTE, L’ÉTENDARD DE LA LIBERTÉ : LA VIE ET L’ŒUVRE DE VOLTAIRINE DE CLEYRE (6)

[ La suite de l'introduction au livre de Voltairine de Cleyre qui paraît le 9 octobre.]

L’épisode Helcher

Un funeste hasard voudra qu’avant même que l’année ne soit finie, le 19 décembre 1902, à Philadelphie, on fera feu sur Voltairine de Cleyre.

Le coup ne sera pas tiré par le Sénateur Joseph R. Hawley, mais bien par un élève mentalement dérangé de Voltairine, Herman Helcher.

Alors que l’anarchiste est sur le point de monter dans un tramway, Helcher, derrière elle, l’agrippe par la manche et, quand elle se retourne, lui tire une balle dans la poitrine. L’impact de la balle la fait se retourner de nouveau et Helcher lui tire deux nouvelles balles, cette fois dans le dos.

Voltairine trouve la force de courir quelques mètres avant de s’abattre devant la porte d’un logement. Un autre de ses élèves, un médecin, habite tout près et il intervient aussitôt pour lui administrer les premiers soins. Voltairine est conduite à l’hôpital, où on pense qu’elle va succomber à ses blessures. Contre toute attente, elle survit à l’attentat et quitte l’hôpital dès le 2 janvier 1903.

Elle met aussitôt le geste de Helcher sur le compte d’une démence causée par les circonstances de sa vie et, conformément aux convictions qu’elle a maintes fois exprimées, refuse de porter plainte contre lui ou même de l’identifier. En fait, elle multipliera les appels à la justice pour qu’elle fasse preuve de clémence et mettra même sur pied un fonds pour la défense de l’accusé.

Dans le journal North American, elle explique :«Le garçon dont on dit qu’il a fait feu sur moi est dérangé. Le manque de nourriture et le fait qu’il n’a pas de travail sain à accomplir l’ont rendu tel. On devrait le mettre dans un asile et ce serait une disgrâce pour la civilisation s’il devait aboutir en prison pour un geste que lui a fait poser un cerveau malade. Peu de temps avant de tirer sur moi, le jeune homme m’avait envoyé une triste lettre — il n’avait rien à manger, nulle part où dormir, pas de travail. J’étais sans nouvelle de lui depuis deux ans. […] Je n’entretiens aucun ressentiment envers lui. Si la société était organisée de telle manière que toute femme, tout homme et tout enfant puisse vivre une vie normale, il n’y aurait plus de cette violence. Je suis remplie d’horreur à la pensée de tous ces actes brutaux commis par le Gouvernement. Chacun d’eux trouve un écho dans un autre geste violent. La matraque des policiers engendre la criminalité. Contrairement à l’opinion commune, «anarchisme» signifie : «Paix sur la terre, bonne volonté à tous les êtres humains». Ceux et celles qui posent des gestes violents en se réclamant de l’anarchisme ont oublié d’être des philosophes — des exemples pour le peuple — et cela parce que leurs souffrances morales et physiques les ont conduit au désespoir ».

En mars 1903, Voltairine est suffisamment remise pour reprendre ses nombreux travaux.

Le deuxième voyage et les dernières années à Philadelphie

Mais toutes ces activités l’épuisent et elle décide de faire un nouveau voyage en Europe. Le 24 juin, elle s’embarque donc pour la Norvège, le pays du dramaturge anarchiste Henrik Ibsen (1828-1906), d’où elle part en août pour visiter ses amis en Écosse et en Angleterre, où elle prononce des conférences.

Voltairine rentre aux Etats-Unis en septembre 1903. Mais sa santé va connaître une grave et rapide détérioration : les sinus, le palais, puis l’oreille sont atteints d’un mal qui ne cessera guère de la faire souffrir atrocement en plus de constamment lui faire entendre un fort bourdonnement. Elle doit périodiquement cesser de travailler et sera à plusieurs reprise hospitalisée.

En 1905, terriblement malade et souffrante, incapable de travailler, ne pouvant subvenir à ses maigres besoins, elle tente de se suicider avec de la morphine. Elle échoue. Puis voilà qu’au printemps 1906, de manière imprévisible, elle prend du mieux.

Ce qui s’amorce alors est la dernière phase de sa vie.

Ce regain de vitalité de Voltairine, qui lui permet de recommencer à écrire, à publier, à donner des conférences, correspond à une renaissance du mouvement anarchiste, qui se remet en marche après l’épisode McKinley.

En mars 1906, Emma Goldman lance Mother Earth, une publication à laquelle Voltairine contribue régulièrement. Sa pensée a désormais atteint sa maturité et est plus aboutie que jamais, comme en témoignent certains de ses essais de cette époque, parmi ses plus achevés — comme Anarchism and the American Tradition, The Dominant Idea ou Direct Action — tous publiés dans Mother Earth. Nous avons déjà examiné le dernier de ces essais. Les deux autres concernent l’anarchisme au sens le plus large du terme, sa signification, le sens de son combat, son inscription historique, ses moyens et ses fins. Ces textes sont tous deux reproduits ici, en même temps que trois autres textes qui permettent de circonscrire la philosophie de l’anarchisme défendue par de Cleyre (textes 1, 2, 3, 4, et 5).

Tentons de la décrire, au moins dans ses grandes lignes.

[À suivre]