mercredi, octobre 08, 2008

LA BANNIÈRE DE LA RÉVOLTE, L’ÉTENDARD DE LA LIBERTÉ : LA VIE ET L’ŒUVRE DE VOLTAIRINE DE CLEYRE (8 et fin)

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Nous avions laissé Voltairine en 1906. Elle noue à cette époque une amitié qui durera jusqu’à sa mort avec Alexander Berkman, qu’elle encourage à écrire ses Prison Memoirs. Berkman, de son côté, éditera en 1914, à la Mother Earth Publishing Association, la première anthologie des écrits de Voltairine de Cleyre.

À l’hiver 1908, lors d’une manifestation de chômeurs à Philadelphie — une des nombreuses qui secoue le pays, qui se trouve de nouveau en grave crise économique — elle est arrêtée, puis jugée, mais sera finalement trouvée non coupable. À ce moment, la situation financière de Voltairine s’est améliorée; mais c’est sa condition physique qui se détériore, en même temps que son moral.

Elle est malade et isolée, et certains de ses écrits et de ses lettres de l’année 1908 laissent deviner une femme aux prises avec une grande crise morale, un immense désespoir et une infinie tristesse. Elle voit alors le monde comme «une vaste conspiration où les gens se tuent les uns les autres, où la justice ne règne nulle part et où il n’y a de dieu ni dans l’âme, ni hors d’elle». Et encore : «Il ne se passe pas un seul jour sans que la souffrance de ce petit être de nos rues ne suscite en moi une rage amère contre la vie elle-même ».

Pire : elle se prend à douter de la victoire de l’anarchisme, du triomphe de cette Idée dominante qui a été son Étoile du Nord et le point fixe de toute son existence. Et si, se demande-t-elle avec angoisse, l’ignorance et les préjugés devaient finalement l’emporter? Elle se remet alors douloureusement en question : qu’a–t-elle accompli, elle, pour empêcher la victoire de la vie sordide sur l’accomplissement de la liberté? «Tout en moi est ruines», écrit-elle. Et encore : «Dans ma bouche, tout est amertume; tout devient cendre entre mes mains ».

Voltairine finit par se laisser convaincre qu’il lui faut déménager, changer d’air et quitter Philadelphie. Le 7 octobre 1910, elle part donc pour Chicago, dont elle a choisi de faire sa nouvelle demeure. En route, elle prononce quelques conférences, où elle parle notamment de Francisco Ferrer i Guàrdia (1859-1909), le pédagogue anarchiste espagnol assassiné par l’État espagnol l’année précédente, et dont les idées inspirent la création d’écoles anarchistes aux Etats-Unis.

Chicago et les derniers mois de Voltairine

C’est ce mouvement de rénovation pédagogique auquel elle s’intéresse de près qui l’occupe d’abord, à Chicago.

Puis, au printemps 1911, une révolution éclate au Mexique pour laquelle elle se passionne — et tout particulièrement pour l’action et les idées de Ricardo Flores Magón, un anarchiste mexicain. Dès juin, elle devient la correspondante du journal Regeneración et s’active en faveur des insurgés mexicains.

La dernière année de sa vie commence — et ce sera peut-être la plus militante de toutes. La révolution mexicaine l’occupe, certes, mais aussi le mouvement ouvrier aux Etats-Unis, où se mènent des luttes violentes qui la radicalisent encore. Elle multiplie les conférences, les débats, les publications, les harangues, les levées de fonds et déborde d’activités. Son tout dernier poème, intitulé Written in Red, est dédié aux insurgés du Mexique et on pourra le lire plus loin.

En avril 1912, elle est à bout de souffle. Le 17, elle est admise à l’hôpital. Le cerveau est atteint par l’infection et on l’opère, par deux fois, sans succès.

Voltairine de Cleyre est morte le 20 juin 1912. Elle avait 45 ans. Plus de deux mille personnes assistent à son enterrement, au cimetière Waldheim, à Chicago.

Sa tombe est située tout près de celles des martyrs du Haymarket. En 1940, Emma Goldman sera enterrée près d’elle.

En 1908, dans Our present attitude (ce texte est ici traduit sous le tire : Où nous en sommes) elle avait écrit : «Oui, je crois que l’on peut remplacer ce système injuste par un système plus juste; je crois à la fin de la famine, de l’abandon, et des crimes qu’ils engendrent; je crois au règne de l’âme humaine sur toutes les lois que l’homme a faites ou fera; je crois qu’il n’y a maintenant aucune paix et qu’il n’y aura aucune paix aussi longtemps que l’homme règnera sur l’homme; je crois en la désintégration et la dissolution complètes du principe et de la pratique de l’autorité; je suis une anarchiste, et si vous me condamnez, je suis prête à recevoir votre condamnation. » (Où nous en sommes, page XXX)

Que ces mots et le programme qu’ils dessinent puissent à tant d’égards toujours valoir pour bon nombre d’entre nous, qu’ils puissent encore nous aider à dire où nous-mêmes en sommes et où nous espérons aller, voilà qui nous rappelle tout à la fois l’acuité de la vision de Voltairine de Cleyre, la hauteur des ambitions qui n’ont cessé de l’animer et la somme du travail qu’il nous reste à accomplir.

Nous avons ouvert ce texte en citant le poème que de Cleyre dédiait à Wollstonecraft. Fermons le sur les derniers mots de ce texte, qui valent aussi pour la rebelle magnifique que fut Voltairine de Cleyre :

La poussière engendre la poussière
L’herbe, le sentier, le tombeau
Le papillon de nuit et la rouille
Ont changé
Ont passé
Été foulés
Eté blessés
Mais rien n’a pu empêcher
Que dans le cœur vibrant du monde
Elle vit encore



Normand Baillargeon
Chantal Santerre
Saint-Antoine-sur-Richelieu
Printemps 2005- hiver 2007

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