mardi, mai 27, 2008

ÉRATOSTHÈNE ET LA CIRCONFÉRENCE DE LA TERRE

Je travaille en ce moment sur Euclide — ce travail sera un chapitre d'un livre à venir. Pour donner une idée de la formidable puissance de cet outil qu’est la géométrie euclidienne, je pense utiliser l'exemple de cet étonnant et spectaculaire raisonnement par laquelle a été mesurée la circonférence de la Terre par un autre savant de la Bibliothèque d’Alexandrie, un contemporain d’Euclide, Ératosthène (III e siècle av. J.C.)




Le raisonnement d’Ératosthène
(Source : wikipédia)


Ératosthène (vers 276 av. J.C. – vers 94 av. J.C.) était le libraire en chef de la gigantesque Librairie d’Alexandrie. L’histoire a retenu qu’un de ses contemporains l’aurait surnommé Bêta, du nom de la deuxième lettre de l’alphabet grec, pour souligner le fait qu’Ératosthène était deuxième en tout. L’homme avait il est vrai des intérêts fort variés puisqu’il a travaillé en astronomie, en histoire, en géographie, en philosophie ainsi qu’en mathématiques. Son nom reste aujourd’hui rattaché à un célèbre crible qui permet de , mais surtout au fit qu’Ératosthène est la première personne à avoir déterminé avec précision la circonférence de la Terre. Pour réussir ce spectaculaire tout de force il n’a eu besoin que d êtres peu de choses : mais il n’y serait jamais parvenu sans le secours des la géométrie.

Tout commence alors qu’Ératosthène lit dans un papyrus trouvé dans sa bibliothèque un texte qui aurait pu sembler anodin et sans intérêt à un autre lecteur. On y décrivait un phénomène bien particulier qui pouvait être observé le 21 juin au poste frontière de Syène (la ville s’appelle aujourd’hui Aswan ou Assouan), situé au sud d’Alexandrie.

Ce jours-là, expliquait-on, les ombres des colonnes du Temple — ou celle d’un bâton planté verticalement — raccourcissent quand approche midi. De même, tandis que les heures s’écoulent jusqu’à midi, les rayons du soleil descendent le long des parois d’un puits profond qui restent dans l’ombre les autres jours. Puis, à midi précisément, les colonnes ou le bâton ne produisent aucun ombre et le soleil brille directement au-dessus du puits, ses rayons dardant l’eau qui s’y trouve tout au fond.

Ératosthène prit au sérieux cette anecdote. Après tout, qui mentirait à ce sujet? De plus, comme déjà à cette époque bien d’autres savants et philosophes, il pensait que la Terre était ronde. Que signifiait l’anecdote de Syène en ce cas?

Cela, pensa-t-il, ne pouvait signifier qu’une chose : à savoir que les rayons du Soleil étaient à ce moment précis parfaitement parallèle aux colonnes du Temple, au bâton planté verticalement, ainsi qu’aux parois du puits. Pour bien le saisir, voyons la Terre comme une sphère. En ce cas, une ligne droite partant de son centre le 21 juin à midi et passant par Syène avant de se prolonger dans l’espace sera parallèle aux rayons du Soleil.

Ératosthène se demanda ensuite, du moins on peut le supposer, ce qui se produirait si on plantait verticalement un bâton le même jour à la même heure mais cette fois à Alexandrie, une ville, il le savait, située au nord de Syène et présumée être sur le même méridien. Si la Terre est plate, on observera le même phénomène qu’à Syène.

Pour le comprendre, imaginez que vous présentez sous une lampe allumée (qui représente le Soleil) et à l‘horizontale une feuille de carton dans laquelle vous avez fixé deux allumettes parfaitement verticales. Aucune des deux allumettes ne projettera d’ombre. Mais supposons à présent que vous courbiez votre feuille de carton, pour en faire un arc de cercle d’une sphère. En ce cas, au moment où l’une des deux allumettes ne projette pas d’ombre, l’autre en projette une. Cette simple observation est la clé du superbe raisonnement d’Ératosthène.

Il remarqua en effet qu’une obélisque à Alexandrie, à midi le 21 juin, projetait une ombre. Un simple calcul lui permit de déterminer que l'angle entre les rayons solaires et la verticale était de 7,2°. Si la Terre est ronde, elle a par définition 360° et ces 7, 2° en représentent 1/50. (50 X 7, 2 = 360). La distance entre Alexandrie et Sylène, en bout de piste, est donc le cinquantième de celle de la mesure de la circonférence de la Terre. Fort de c raisonnement, Ératosthène pouvait donc, connaissant la distance entre Alexandrie et Sylène, déterminer la circonférence de la Terre.

Ératosthène engagea ce qu’on appellerait aujourd’hui un assistant de recherche qui marcha d’Alexandrie à Sylène en mesurant la distance parcourue. Ératosthène sut ainsi que les deux villes étaient distantes l’une de l’autre de 5000 stades environ soit, en mesures contemporaines, environ 500 miles ou (toujours environ) 800 kilomètres. Plus exactement, un stade valant 157,5 m, il arriva à : 5000 X 157, 5 m = 787,5 kms X 50 = 39 375 kms.

On évalue aujourd’hui la circonférence de la Terre, à l’aide des meilleures instruments et techniques dont nous disposons et comte tenu qu’elle n’est pas une sphère parfaite, à environ 40 075 kms. La précision atteinte par Ératosthène est, littéralement, extraordinaire et renversante.

Comme le suggère un commentateur contemporain, un tel exploit aurait valu à Ératosthène un Prix Nobel s’il y en avait eu à son époque et au brave marcheur un poste d’assistant de recherche à la librairie d’Alexandrie (1) !

Note (1): MLODINOW, Leonard, Euclid’s Window. The Story of Geometry from Parallel Lines to Hyperspace, Simon and Schuster, New York, 2001, page 42.

5 commentaires:

Au lit vie et a dit…

Merci d'avoir expliqué le raisonnement d'Ératosthène. J'en ai beaucoup entendu parlé dans mes cours de sciences du secondaire sans que le prof n'aille plus en détail. Je me doutais bien qu'il s'agissait d'un raisonnement du genre. Le cas de l'assistant de recherche révèle malheureusement une triste vérité encore bien présente: c'est l'assistant qui fait le travail long et laborieux et c'est le nom du prof dont on se souvient ensuite!

Normand Baillargeon a dit…

Merci de ce commentaire. Je suis content que ce soit compréhensible.



Normand B.

smyle a dit…

bonjour , et merci d'avoir publié ceci , j'ai enfin compris .
Il y a une seule chose que je n'ai pas pas compris , une fois qu'on connait l'angle de 7.2° et qu'on connait la distance syéne/alexandrie coment fait t-on pour calculer la circonférence de la terre svp , en espérant que vous me répondiez le plus ite merci .

Anonyme a dit…

Et oui maintenant avec les avions la terre est devenue toute petite
ça me rend malheureux...

Anonyme a dit…

Ci joint un commentaire un peu tardif, mais l'évènement en question a eu lieu il y a plus de 2000 ans, ça relativise !
Le segment courbe de terre (trajet Alexandrie-Syène de 800 km à la surface de la terre) est proportionnel à l'angle (1/50e du tour complet). Il sufit de multiplier par 50.
Par contre comment avoir mesuré précisément 7,2° je ne vois pas l'explication.
On lit dans Denis Guedj, Les Cheveux de Bérénice, que l'ombre mesurée à Alexandrie au solstice était 50 fois plus petite que le "baton" (le gnomon) qui a servi à produire l'ombre. Mais en trigonométrie, ce 1/50 ce n'est pas l'angle mais sa tangente. Peut être que pour un angle si petit on peut considérer que sa tangente est une bonne approximation.