samedi, avril 26, 2008

SURPRISE! IL Y A UNE VIE APRÈS LE FMI

[Ce qui est suit est la version longue d'un texte rédigé pour Alternatives.]

Le 9 décembre 2007, une nouvelle banque est née.

Son nom? El Banco del Sur, c’est-à-dire la Banque du Sud. Elle réunit sept pays d’Amérique du Sud (Argentine, Bolivie, Brésil, Équateur, Paraguay, Venezuela et Uruguay) dans un projet commun de financement d’infrastructures, de développement social et de protection contre les secousses financières.

On ne s’en étonnera pas : sa création, d’abord voulue par Hugo Chavez, a été largement passée sous silence dans nos grands médias. Elle traduit pourtant une volonté nettement populaire exprimée dans les pays de cette région du monde (et plus généralement de tous les pays pauvres) de se libérer de l’emprise des institutions issues de Bretton Woods et qui régissent l’architecture de l’économie mondiale — le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale.

Pour comprendre pourquoi, on peut remonter à la crise financière asiatique de 1997, qui marque ici un point tournant.

À ce moment-là, des voix prônant la résistance et invitant notamment au rejet des plans d’ajustement structurel, des voix qui étaient restées jusque là presque inaudibles, commencent à se faire entendre. Peu à peu, la crédibilité des analyses du FMI et de la Banque Mondiale s’effrite, à proportion qu’on cesse de les craindre et qu’ils sont perçus, avec raison, comme le bras armé financier des élites des pays riches en général et des État-Unis en particulier.

Attardons-nous un moment aux cas exemplaires de l’Argentine et du Venezuela.

L’Argentine, d’abord.

Le pays a longtemps été un élève modèle des doctrines néolibérales et a été mis de l’avant comme tel par le FMI pour ses politiques de privatisations et son contrôle de dépenses publiques.

Pourtant, et en partie à cause de cela, l’aube du millénaire augure particulièrement mal pour l’Argentine, étranglée qu’elle est par les dettes et des taux d’intérêt réel vertigineux. Imperturbable, le FMI, qui conseillait le pays, prévoit, dans ses prestigieux et influents World Economic Outlook, une importante croissance du PIB pour 2000, puis pour 2001, puis encore 2002.

Le Fonds s’est à chaque fois lourdement trompé: d’abord sur l’ampleur de la récession en cours, qu’il a largement sous estimée; ensuite sur la croissance du PIB, qu’il a cette fois largement surestimée — respectivement de 2, 3%, 8,1 % et 13, 5%.
Puis, en 2001, dans un geste spectaculaire, l’Argentine cesse de rembourser sa dette publique et envoie promener le FMI. Le pays entreprend alors … une forte reprise, que le même FMI, toujours imperturbable, va largement sous-estimer, à chaque année entre 2003 et 2006.

Le cas du Venezuela est particulier, puisque le pays n’a plus de prêt avec le FMI depuis juillet 1997. Cette fois encore, le Fonds, à chaque année entre 2004 et 2006, va sous-estimer la croissance du PIB — respectivement de 10, 6%, 6,8 % et 5, 8%.
Mais ce que le cas de ce pays illustre surtout, c’est un aspect particulièrement sombre du FMI et un autre motif de la colère populaire contre cette institution et le consensus de Washington qu’elle représente. On se souviendra certainement de ces événements dramatiques.

Le 11 avril 2002, le gouvernement démocratiquement élu du Venezuela est renversé par un coup militaire. Dans les heures qui suivent, avec une célérité jamais vue, le FMI se déclare publiquement «prêt à appuyer la nouvelle administration de toutes les manières qu’elle le voudra». Or, la nouvelle administration (de Pedro Carmona) est une dictature : et après le gouvernement élu, ce sont la Constitution et la Cour suprême qu’elle s’apprête à dissoudre!

Les cas de l’Argentine et du Venezuela se généralisent et on ne s’étonnera pas que le FMI ait si mauvaise réputation — en Amérique du Sud comme ailleurs. Plusieurs pays ont d’ailleurs commencé à (quand ce n’est pas fini de) solder leur dette envers le Fonds et à s’en émanciper. Avec ce résultat que le FMI est à toutes fins utiles en train d’être mis à la porte de l’Amérique du Sud, tandis que ses réserves s’épuisent en raison des dettes impayées ou restructurées de ses créanciers.

Dans ce contexte, la création de la Banco del Sur constitue bien un événement d’une très grande importance et son développement, comme ses activités, méritent d’être suivis de très près. À commencer par ce projet d’un gigantesque pipeline de plusieurs milliers de kilomètres reliant des gisements des Caraïbes et du Venezuela au Brésil et à l’Argentine, ce qui contribuerait à l’autonomie énergétique des pays concernés.
Plus encore, la Banque pourrait bien marquer un premier pas vers une réunification d’une Amérique du Sud qui a si longtemps été, littéralement, désintégrée.

Elle réunit en tout cas des gouvernements de gauches aussi différentes que celui de Lula (au Brésil) et de Chavez et sa création a eu comme condition et comme contrepartie l’arrivée au pouvoir de nombreux gouvernements démocratiques.

C’est le cas de la Bolivie et du gouvernement de Juan Evo Morales, qui appartient à la Banque du Sud et a entrepris la nationalisation de ses réserves d’hydrocarbure.

C‘est également le cas de l’Équateur dont le président Rafael Correa vient de déclarer le représentant de la Banque Mondiale «persona non grata» au pays.

Il n’y a pas si longtemps, de tels intolérables agissements auraient entraîné, de la part des Etats-Unis, soit par la force, soit par la restructuration des économies, un renversement des gouvernements concernés et de l’inadmissible démocratie qu’ils incarnent. La première option est désormais de plus en plus difficile à envisager; la deuxième le devient à son tour, notamment grâce à la Banque du Sud.

L’Amérique du Sud, qui a si longtemps eu les veines ouvertes, panse en ce moment ses plaies et en s’émancipant du «consensus de Washington» est en train de faire la preuve que si on n’est jamais si bien asservi que par le FMI, on n’est jamais si bien servi que par soi-même.

Nestor Kirchner, alors président de l’Argentine, déclarait en 2005 : «Il y a une vie après le FMI et c’est même une très bonne vie».

La très bonne nouvelle est que ça commence à se savoir.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Excellent article , mais surtout, réjouissantes informations !

Je me suis passée la remarque, ne lisant que d'un pays à l'autre qui cessait de payer sa dette ou les intérêts seul, ils avaient dû s'inspirer des si grands pays démocratiques mauvais payeurs de leurs cotisations à l'ONU...

Cordialement,

Marie Danielle

Anonyme a dit…

Pardon, pour m'assurer de la lisibilité de mon commentaire :

Je me suis passée la remarque, EN lisant que d'un pays à l'autre qui cessait de payer sa dette ou les intérêts seul, QU'ils avaient dû s'inspirer des si grands pays démocratiques mauvais payeurs de leurs cotisations à l'ONU...

Normand Baillargeon a dit…

Bonne remarque! :-)

Et merci de votre commentaire.

Normand B.