jeudi, février 28, 2008

LE DILEMME MONTY HALL

Vous participez à un jeu télévisé. On vous montre trois portes fermées et identifiées par les chiffres : 1, 2, et 3. L’animateur du jeu vous informe que derrière une de ces portes se trouve un exemplaire des œuvres complètes de Platon; derrière chacune des deux autres, une chèvre. Vous devez sélectionner une des portes : on l’ouvrira et vous gagnerez le prix qui se trouvera derrière elle.

Vous avez choisi la porte 1. À présent, faites attention à ce qui va suivre.

Votre hôte qui, bien entendu, sait ce qui se trouve derrière chacune des portes, va poser un geste surprenant: au lieu d’ouvrir la porte 1, il ouvre la porte 3, derrière laquelle se trouve évidemment une chèvre. Il vous informe que vous pouvez à présent, ou bien choisir la porte 2, ou bien conserver la porte 1.

Qu’en dites-vous? Est-il ou non avantageux, dans les conditions décrites, de changer de porte?

Ce problème est connu sous le nom de dilemme Monty Hall, du nom de l’animateur du jeu télévisé Let’s make a deal. À ma connaissance, il a été présenté pour la première fois par Martin Gardner, en 1959, dans la célèbre chronique de jeux mathématiques qu’il tenait dans Scientific American. Depuis, à chaque fois qu’il est exposé, il suscite autant d’intérêt que de polémique.

Notre intuition nous dit, très clairement et très distinctement, que le prix convoité peut également se trouver derrière chacune des trois portes — avec à chaque fois une probabilité de 1/3. Telle était bien la situation au moment où vous avez fait votre choix. Mais que se passe-t-il quand l’animateur ouvre une porte derrière laquelle se trouve une chèvre? Ici encore, notre intuition nous dit deux choses, toujours aussi clairement et distinctement La première est que cette nouvelle donnée change la probabilité que le prix se trouve derrière l’une ou l’autre des deux portes restantes : chacune ne peut plus avoir désormais non plus 1 chance sur trois d’être la bonne. La deuxième est qu’aucune des portes n’a plus de chance que l’autre d’être la bonne. Il s’ensuit qu’il est indifférent que l’on change ou non de porte et que chacune des deux a une chance sur deux de contenir le prix convoité.

Vous êtes d’accord? Vous avez tort. Mais rassurez-vous : même d’excellents mathématiciens se sont trompés, eux aussi.

Reprenons tout cela doucement.

Nous devons tenir compte de trois choses. D’abord, de l’endroit où se trouve l’oeuvre de Platon durant une partie : celle-ci, comme on sait, peut indifféremment être derrière l’une ou l’autre des trois portes, ce qui fait qu’il y a trois cas à examiner. Ensuite, des conséquences qu’aurait le fait de changer de porte dans chacun de ces trois cas. Enfin, nous devons déterminer les conséquences qu’aurait le fait de ne pas changer de porte, toujours dans chacun de ces trois cas. Une fois cela accompli, nous serons en mesure de constater s’il y a — ou non— un avantage à changer.

Nous pouvons représenter tout cela dans le tableau suivant :

PORTE 1 PORTE 2 PORTE 3

PARTIE 1 PLATON CHÈVRE CHÈVRE Il change et perd

PARTIE 2 CHÈVRE PLATON CHÈVRE Il change et gagne

PARTIE 3 CHÈVRE CHÈVRE PLATON Il change et gagne

PARTIE 4 PLATON CHÈVRE CHÈVRE Il ne change pas et gagne

PARTIE 5 CHÈVRE PLATON CHÈVRE Il ne change pas et perd

PARTIE 6 CHÈVRE CHÈVRE PLATON Il ne change pas et perd


Dans ce tableau, on indique en gras l’endroit où se trouvent les livres pour une partie donnée. Par convention, on suppose que le concurrent a choisi la porte 1. On se souviendra que le meneur de jeu ouvre toujours une porte derrière laquelle se trouve un Manifeste.

Pour les trois premières parties, le concurrent a choisi de changer de porte. Les trois parties suivantes (partie 4, 5, et 6) examinent les cas où le concurrent a choisi de ne pas changer de porte. Ce que nous constatons est indiqué dans la dernière colonne du tableau.

On le voit : le joueur qui change de porte gagne deux fois sur trois et perd une fois sur trois; le joueur qui ne change pas de porte gagne une fois sur trois et perd deux fois sur trois.

Le raisonnement est irréfutable, mais le résultat auquel on parvient est violemment contre-intuitif.

Si, comme presque tout le monde, le dilemme Monty Hall vous a trompé, voici de quoi vous consoler.

Dans la biographie qu’il consacre à Paul Erdös, un des plus importants et des plus créatifs mathématiciens du XXè siècle, Paul Hoffman raconte ce qu’il arriva quand un de ses amis lui exposa le problème en lui assurant qu’il valait mieux changer de porte . L’ami en question était persuadé que la conversation se porterait aussitôt vers un autre sujet. Mais Erdös «affirma que c’était impossible et que l’ouverture d’une porte ne devait pas faire de différence ». Il faudra du temps, un arbre de décision (qui est quelque chose de similaire au tableau que nous avons examiné) et même une simulation par ordinateur — sans oublier de longues discussions — pour convaincre le grand mathématicien.

C’est peut-être notre notion même de probabilité qui est ici mise au défi. Nous utilisons le plus typiquement une conception dite fréquentiste des probabilités, qui définit ce concept justement comme fréquence des événements, ce qui incite à penser les probabilités comme des propriétés objectives des objets; il existe pourtant une autre interprétation du concept de probabilité, qui invite à les concevoir de manière subjective, c’est-à-dire comme des propriétés de nos jugements sur les événements. L’ami qui a exposé le dilemme Monty Hall à Erdös et qui est parvenu à le convaincre de sa juste solution, concluait ce qui suit de cette expérience :

«Les physiciens sont enclins à penser que le concept de probabilité est rattaché aux choses. Prenez une pièce de monnaie. Vous savez que la probabilité de tirer pile est une chance sur deux. Les physiciens semblent penser que cette probabilité est en quelque sorte fusionnée à l’objet. Comme s’il s’agissait d’une de ses propriétés, de quelque chose de physique. Mais supposons que je lance une pièce de monnaie et qu’elle retombe sur pile à chaque lancer: vous penserez alors que quelque chose ne va pas. Que la pièce est fausse. C’est pourtant la même pièce de monnaie qu’au moment où j’ai commencé à la lancer. Alors pourquoi ai-je changé d’idée? C’est parce que mon esprit a reçu de nouvelles informations dont il tient compte. Telle est la conception bayesienne des probabilités. J’ai dû faire de gros efforts pour comprendre que la probabilité est un état mental. Mon hypothèse est que Erdös avait adopté cette idée de probabilité comme quelque chose qui est attaché à un objet physique et que c’est pour cette raison qu’il ne pouvait comprendre pourquoi il était sensé de changer de porte ».

Pour aller plus loin

On trouve sur Internet divers simulateurs de jeu qui permettent de visualiser ce qui se passe selon que l’on modifie ou non notre premier choix de porte. Par exemple : http://www.univ-rouen.fr/LMRS/Vulgarisation/Hall/hall.html

GARDNER, Martin Gardner, Aha! Gotcha. Paradoxes to Puzzle and Delight, Freeman and Co, New York, 1982.
PILLIS, de, J. 777 Mathematical Conversation Starters, MAA, 2002. Pages 143-146.
GRANCHER, G. de la RUE, T., Énigmes mathématiques. Maths en scène. Brochure APMEP 121 (1998).

Le lien qui suit permet de consulter une démonstration mathématique du résultat auquel nous sommes arrivés mais en termes de probabilités conditionnelles : [http://irmi.epfl.ch/cmos/Pmmi/xcspool/course1_fr45.htm]

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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